Les Odalisques s’apparentent par leur corps nacré et glabre aux déesses classiques (le poil pubien était proscrit en peinture, le nu doté de sa pilosité était rangé dans le genre pornographique), mais elles s’en séparent fondamentalement par leur nature. Elles relèvent de la chair vivante et non du mythe. Elles sont femmes de corps et de formes.
Ces créatures préparées, disait-on, dès l'enfance à la docilité amoureuse vivaient dans les harems d’Istanbul, du Caire ou d’Alger. La peinture orientalisée des artistes occidentaux souligne leurs yeux silencieux effleurant les nôtres, des yeux désirants, directs et fragiles, où l’on peut lire la nécessité des bonheurs terrestres. « Nous sommes créées pour les donner » semblent-elles dire (Delacroix, Odalisque, 1827.) Mais toutes ces femmes ne suggèrent pas cette invite qui filtre à travers leurs paupières baissées. Certaines semblet absentes d'elles-mêmes et montrent un front que l'on dirait sans idées, un visage qu'aucune sensation n'altère. Ce regard sérieux, on peut l’apercevoir, par exemple, dans La Grande Odalisque (1814) d’Ingres ou dans Une Odalisque de Delacroix (1846.)
Les peintres, lorsqu’ils s’attaquent au sujet oriental, n’ont plus besoin de l’alibi mythologique pour représenter des nus. L’Orient, par son éloignement géographique, culturel mais aussi temporel, par sa différence civilisationnelle, faisait que les œuvres qui s’en inspiraient n’entraient pas dans les catégories établies par la censure. Parlant d’un autre monde elles pouvaient être montrées au public des Salons. Balzac, dans La Fille aux yeux d’or (1835), n’hésite pas à situer son intrigue en plein cœur de Paris, dans un hôtel particulier qu’une lesbienne Anglaise, femme du monde jalouse, transforme en une sorte de harem pour aimer, puis tuer à coups de poignard, "à la sultane", son infidèle et trop belle maîtresse, l’exotique Paquita Valdès. L’écrivain, qui connaissait bien le travail de Delacroix avoue s’être inspiré pour écrire son roman des couleurs et des décors de l’œuvre orientaliste du peintre.
La peinture de Delacroix a marqué une formidable poussée dans l'art de peindre. Romantiquement fasciné par l’Orient, il s’embarque en hiver 1832, « par la plus froide des nuits de décembre », pour un voyage de six mois au Maroc et en Algérie (Femmes d’Alger dans leur appartement, 1834.) Les Odalisques qu’il peint avant et après ce voyage n’auront pas la même facture. Son Odalisque allongée sur un divan (vers 1828) intrigue par l’expression qu’il prête au modèle. On ne sait si elle cède à un pur plaisir physique où si elle est en proie à une souffrance morale. Allongée sur le dos dans une pièce à l’ameublement sommaire, baignant dans cette semi clarté des chambres d'Orient, elle dirige ses yeux noirs sur nous. Son corps aux jambes légèrement écartées dessine une torsion du bassin qui imprime à ses chairs une densité et une matérialité presque palpable. La tenture bleue du fond fait de sa peau ocrée une nappe chaude qui attise le désir.
Plus tard, en 1847, Delacroix expose Une Odalisque. Dès le titre, le peintre précise son intention de représenter une femme dans sa singularité. Cette femme au regard indifférent ne veut pas séduire. Elle regarde simplement. Et l’attitude de son corps ne présente aucune équivoque. L’impression de force qu’il dégage provient sans doute de cette gratuité de la pose, de cette absence de désir qui contredit l’idée que se faisaient les contemporains du peintre sur la permanente disponibilité amoureuse des Odalisques.
GALERIE
Ingres - Vénus à Paphos, 1853