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La mort de Sardanapale, 1827

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges
                                     Les Phares Baudelaire

La mort de Sardanapale exposée au Salon de 1827 figure une grande scène orgiaque d’or et de nuit. Elle dit, sans fioriture, l’excès, l’extrême et présente une surface saturée de désordre, de bruit et de cris où le sang absent occupe et interroge le regard. Sardanapale – le tableau – qu’il faut relier au poème de Byron (1821) est une manière de manifeste du romantisme de l’outrance où s’enracine la posture nouvelle d’un mouvement qui se veut politique et poétique, amoureux et nerveux, mobile et  violent.
Un mouvement aux antipodes des molles plaintes d’Ossian.
Delacroix, prince des peintres, hautain et sec comme un homme de souffrance, bouscule les hiérarchies établies, le conformisme des écoles, brouille les codes et hausse au rang de la peinture d’histoire, le nec plus ultra du genre, l’histoire barbare et grandiose des peuples d’un autre temps. Le peintre qui, en 1827, n’a pas encore voyagé au Maroc se fabrique un Orient fait de lectures, de témoignages, de légendes et de fantasmes érotiques. Il dit, par exemple, dans son journal comment il sublimait parfois son désir pour une de ses modèles en le transformant en acte créatif, en coups de pinceau.
La fascination qu’exerce le spectacle de Sardanapale est telle qu’elle occulte ces égorgements effectués dans la clarté crépusculaire d’un règne condamné et montre l’audace de l’artiste qui n’hésite pas à mettre en images ses pulsions secrètes mêlant l’amour et la mort, l’extase et la douleur et, en romantique absolu, la beauté de l’effroi.
Observons la ligne de lumière qui, traversant la diagonale du tableau, éclaire l’acmé du carnage. Le haut de cette ligne présente
Sardanapale, le roi de Ninive, impassible et serein, étendu sur une extravagante couche. Comme nous, il assiste en voyeur aux supplices qu’il a ordonné et qui se perpètrent le long de ce segment lumineux pour aboutir au cœur de l’entreprise picturale : le sacrifice de la favorite qui préfigure la propre mort du commanditaire – car on le sait, le tyran aimant et aimé, se donnera la mort  juste après.
Delacroix fait sienne ici l’idée admise à l’époque que la cruauté du mâle oriental était considérée par ses femmes comme une preuve d’amour – amour qu’elles partageaient en retour.
Cette partie du tableau montre dans la cambrure du corps, dans cette tension désespérée et vaine, le spectacle inattendu de la force du désir à l’œuvre derrière les murs sans fenêtre de ce palais assiégé. Tenue d’une main de fer par un esclave aux muscles saillants la femme qui va mourir exhibe une dernière fois – ultime don, ultime pardon ? – sa nudité à l’homme qui fut son maître. Vêtue de ses seuls bijoux et d’une paire de mules au-dedans rose, la gorge dégagée, prête au couteau, la suppliciée observe la richesse perdue de la chambre dévastée. A gauche, luxueusement harnaché, un cheval au regard fou lutte avec un esclave noir enturbanné de rouge tandis que d’autres serviteurs, le visage paniqué ou abattu, attendent leur mort certaine. A droite un homme aux yeux exorbités prie ou demande une impossible grâce, non loin de lui une concubine expire couchée aux pieds de Sardanapale, sa chevelure déployée en vagues blondes sur le blanc d’un drap, alors que de l’autre côté, une femme appuyée au bord du lit royal fait face à un personnage menaçant en train de dégainer ce qui ne peut être qu’un poignard. Au milieu de ce panorama apocalyptique une femme au buste massif et brun nous fait face. Elle est accoudée près de l’une des deux têtes d’éléphants sculptés et évoque la série de nus réalisée par Picasso au début des années 1920.
Le fond droit du tableau, travaillé à la peinture brute, sans dessin, continue la sublime horreur : une femme à peine ébauchée, les bras entravés en hauteur, n’a plus que quelques instants à vivre, une autre a la tête recouverte d’un châle assassin, alors que d’autres ombres, placées au dessus de la scène principale, suggèrent la fin du monde sardanapalien. Delacroix choisit en effet l’espace du tableau le plus éloigné du centre pour ménager, dans l’enceinte du palais, une trouée peuplée de traits estompés figurant l’arrivée de l’armée ennemie.
L’orgueilleux vaincu ne laissera que cendres aux vainqueurs : cendres de ses femmes, cendres de ses chevaux, cendres de ses trésors et cendres de lui-même. Sardanapale aux yeux asiatiques, à la barbe de patriarche et aux doigts de pieds ornés de diamants ne voudra pas subir l’humiliation d’une mort non choisie et demandera à son dernier serviteur de lui prendre son dernier souffle.

Eugène Delacroix - Esquisse de la femme sacrifiée pour la Mort de Sardanapale

Delacroix : La mort de Sardanapale. 1827
Delacroix : La mort de Sardanapale. 1827
Delacroix : La mort de Sardanapale. 1827
Delacroix : La mort de Sardanapale. 1827
Delacroix : La mort de Sardanapale. 1827
Delacroix : La mort de Sardanapale. 1827
Delacroix : La mort de Sardanapale. 1827
Delacroix : La mort de Sardanapale. 1827
Delacroix : La mort de Sardanapale. 1827
Tag(s) : #Récits de voyage et peinture orientaliste
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