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Balzac : Les Chouans ou La Bretagne en 1799. 1829

         Au premier ami, le premier ouvrage

Cette dédicace est adressée à Théodore Dablin, Négociant. Elle a été ajoutée tardivement, comme toutes celles figurant sur les romans écrits avant la naissance de la Comédie humaine. Elle exprime, en creux, la reconnaissance de Balzac à un homme qui l’aida financièrement et qui crut en lui, avant beaucoup d’autres.
Après une série de romans historiques écrits sous différents pseudonymes Balzac s’aperçoit aux environs de 1825 que la littérature ne nourrit pas son homme. Empruntant de l’argent autour de lui, essentiellement auprès de ses proches, il décide de se consacrer aux  affaires. Il se fait imprimeur avec le succès que l’on sait. Endetté, il revient à l’écriture, en réalité sa seule vraie vocation.
En 1829 l’idée de présenter à ses lecteurs une fresque historique et pittoresque embrassant le passé peu connu de la France le pousse à se documenter sur les  événements qui ont bouleversé le pays, notamment la Révolution de 1789. Reportons-nous à ce que conseille d’Arthez au jeune Lucien de Rubempré dans Illusions perdues. Ce dernier veut écrire : d’Arthez, lui-même écrivain, lui conseille simplement de prendre comme thème l’Histoire de France.
Pour les Chouans le sujet est, historiquement parlant, assez lointain pour en faire la matière d’un livre et assez proche pour trouver des témoins de la révolte des paysans bretons susceptibles de renseigner l’auteur sur ce qu’ils avaient vécu. Balzac sait d’autre part que ses lecteurs s’intéresseront à une période encore bruissante du glorieux nom de Napoléon.
Le soulèvement de la Bretagne, en dernière instance, ne pouvait pas laisser indifférent un public qui commençait, avec le romantisme triomphant, à interroger son passé et à transformer ses héros en mythe.
Mais Balzac s’aperçoit vite de la difficulté et des dangers de mettre, dit-il, « l’histoire de son pays entre les mains de tout le monde. »
Pour s’imprégner de l’atmosphère de la Bretagne et « photographier » le terrain où se déroulera l’action des Chouans, Balzac se rend à Fougères chez un ami de ses parents. Un officier d’Empire à la retraite, le général Pommeureul. Là, pendant vingt jours, il se renseigne auprès de ses hôtes et des habitants de la région. Il observe également le paysage particulier de cette province si éloignée du luxe et du savoir vivre de la Capitale. Les pages consacrées à la description de la nature bretonne sont saisissantes.
Pas de route, des champs clôturés par d’épaisses haies, des ruisseaux, des chemins de terre montant et descendant, des bois sombres aux arbres touffus et menaçants couvrant un sol regorgeant d’eau, le schiste, l’ardoise, le granit, le brouillard : tout semble au regard de l’écrivain brut, non fini, comme les Chouans qu’il décrit, avec une certaine complaisance, dans leur primitive apparence. La référence insistante à une terre dure, cuite, ravinée accompagne et complète, par analogie, l’image des ces visages fermés d’hommes et confère au récit une dimension fantastique présente dans la plupart des romans feuilletons de l’époque.
Vêtus de peau de chèvres, barbus et chevelus, ils ne parlent pas, ils grognent comme les bêtes dont ils ont pris le pelage pour se couvrir. Et menacent de leurs yeux fixes tout étranger à leur région. Balzac n’hésite pas à les comparer aux sauvages des contrées lointaines : les Indiens d’Amérique, les Cannibales de l’Afrique ou aux hommes de la préhistoire qui vivaient dans des cavernes et qui n’utilisaient encore qu’un langage rudimentaire pour s’exprimer.
A l’évidence, Balzac veut éprouver ses lecteurs. Il faut avouer que lui-même est impressionné par la violence du paysage breton, lui le paisible tourangeau habitué aux molles rondeurs de la Loire. Il est fasciné par l’âpreté du décor : il voit et mesure le retard social de cette régions ouvrant la porte du Finistère, cet extrême Ouest de la France que le progrès semble ne pas avoir atteint et qui fait face à la vieille ennemie, l’Angleterre, qui porte le même nom, mais en plus grand.
C’est cette campagne avec ces filles de ferme (du genre Bécassine) et ces gars durs comme la pierre de ses montagnes qui fournissent à Paris ses domestiques, ses employés de maison, ses hommes à tout faire et ses chauffeurs.
Balzac après s’être informé et vu, après avoir parlé et entendu retourne à Paris et s’enferme pour achever au plus vite ce roman dont il pressent qu’il est bien plus qu’une simple histoire. Il écrit à sa sœur Laure en février 1829 : « J’ai encore dix à douze jours de travail pour en finir avec Le Dernier Chouan. D’ici là, je suis incapable de donner signe de vie, car c’est comme si on dérangeait un fondeur au moment de la coulée. »
La première version du premier opus de la Comédie humaine est donc écrite et publiée à la fin de l’année 1829. Cette première mouture, acceptée par un éditeur de roman feuilleton, sera revue et augmentée en 1834 puis en 1843 pour être intégrée dans le grand ensemble de la Comédie humaine.
Dans l’édition remaniée de 1834, Balzac a corrigé certaines lourdeurs de style mais aussi il a équilibré les torts et les raisons des deux parties en conflit : les Bleus et les Blancs. Comme si Balzac avait voulu être un peu plus impartial, un peu plus neutre, plus historien que dans la première version.
Balzac atténue ainsi certains traits de caractère du Gars, le chef des Chouans ou du terrible abbé Gudin. Il tente par ailleurs d’équilibrer dans son oeuvre l’aspect historique – le domaine des faits vérifiable -  et l’aspect romanesque - le domaine de l’imagination.
Il est vraisemblable que la rencontre à Neuchâtel avec Eve Hanska, et le début de l’amour de sa vie, va amener l’auteur à moins de noirceur. Ce qu’il enlève à la brutalité des scènes de guerre, Balzac le remplace par une apologie du sentiment amoureux et glorifie la passion déraisonnable, totale et donc fatale qui unit Marie et le Gars. Seule cette folie du cœur et des sens mérite d’être nous dit l’amoureux de la belle étrangère.
Balzac au contact de l’amour va gommer ce que Marie avait de trop sensuel, de trop « fille », et d’aventurier pour faire de son héroïne l’amoureuse exigeante et rebelle et en même temps sacrifiée.
On sait que madame Hanska appréciait énormément ce premier roman de Balzac, écrit alors qu’ils ne se connaissaient pas encore. La première Marie correspondait aux rêves érotiques d’un jeune romancier. La seconde Marie est plus proche de la femme qu’il recherche : elle ressemble par bien des côtés retouchés à la belle Etrangère.
Le roman de 1834 n’a pas plus de succès que la première manière.
Les remaniements de 1843 concernent, comme toujours chez Balzac, au style et au problème de la langue. Mais c’est à cette occasion qu’il l’introduit pleinement dans son grand œuvre. Il change des noms et en propose d’autres : le comte de Fontaine (Le Bal de Sceaux), le conte de Bauvan (Le Cabinet des Antiques), le baron du Guénic (Béatrix) et le Chavalier de Valois dans César Birotteau et La vieille fille. Suzanne (qui deviendra Mme de Val-Noble) dans ce dernier roman est fascinée par l’histoire de Marie et du Gars que lui raconte le Chevalier. Suzanne, installée à Paris, deviendra une courtisane, une Maie qui aurait mal tournée.
Brigaut se retrouve dans Pierrette ainsi que Pille-Miche et le chevalier de Vissard dans l’Envers de l’histoire contemporaine. La Billiardère quant à lui est cité dans Les employés. Mme du Gua, elle « dont l’énergie a soutenu celle de Charrette et de Montauran »,  est décrite dans Mademoiselle du Vissard, roman inachevé. Balzac nous la montre vieillie et comme en colère de n’avoir pas réussi ses rêves de jeunesse. Désavouée par les seuls deux amants qu’elle a aimée, elle l’est aussi par la cause qu’elle a défendue au risque de sa vie.
Le colonel Hulot se retrouve dans la Muse du département mais surtout dans La cousine Bette. Beau-Pied, son fidèle compagnon, l’unique rescapé du massacre organisé par Mme du Gua à la Vivrière, l’accompagne toujours.
Corentin, le policier/espion, toujours froid comme un serpent, se retrouve dans une Ténébreuse affaire et dans Splendeurs et Misères des courtisanes.
Balzac dans ce travail d’ajustement et de récriture procède par ajouts qui insensiblement modifient et étoffent son manuscrit. Il écrit petit et serré (il est sans argent et doit économiser le papier) et utilise les deux versants des feuillets sur lesquels il trace une marge d’un tiers (réduite assez vite au quart tant la masse du texte s’écrivant s’amplifiait) pour les corrections toujours nombreuses. Il effectue sur ces pages pleines un véritable travail de marqueterie. Cette manière de procéder exaspère les typographes en plus du fait que les épreuves qu’on lui adresse sont retournées à l’imprimerie truffées de modifications. Devant la fronde des ouvriers du livre il consent à ne plus écrire des deux côtés de ses pages et n’utilise plus que leur recto.
Le manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale nous livre les secrets de fabrication littéraire de Balzac : l’accumulation, le bourgeonnement et même ce que j’appellerai l’autofécondation. Dans cet ordre d’idée l’étude de la pagination est assez explicite.
Ainsi la page 29 est augmentée des pages 29 bis, ter, quater et quinque.
L’auteur supprime, développe des séquences narratives comme dans la scène où d’Orgemont est longuement torturé en présence de Marie dissimulée.
Il rectifie et arrange constamment pour donner cohérence et émotion à son histoire.
Le roman définitif, celui de 1843, est composé de trois parties et d’une dédicace. :
-  L’embuscade
-  Une idée de Fouché
-  Un jour sans lendemain. (On peut penser au petit bijou érotique de Vivant Denon : Point de lendemain.)
Les trois parties prennent leur forme définitive dans l’édition Furne destinée à rassembler toutes les œuvres de Balzac sous le titre général de La Comédie humaine décidé en 1841.
La première partie fait office de long prologue qui prend la forme d’un exposé socio-historique. Balzac nous offre ainsi des tableaux de la vie et des mœurs de la Bretagne (religion ultra conservatrice, guerre civile avec son cortège de scènes horribles : exécutions barbares et tortures rappelant celles de l’inquisition.
Les deux autres développent l’histoire d’amour passionné qui dévore les deux héros du roman, la singulière et belle Marie de Verneuil, l’envoyée de Fouché - l’espionne Bleue en quelque sorte - et le marquis de Montauran, dit le Gars, le jeune chef Blanc des Chouans.
Le drame est divisé en cinq moments forts et l’action se déroule en novembre de l’année figurant dans le titre remanié. Cette année, notons-le, correspondant à celle de la naissance de l’auteur, le 1er Prairial de l’an VIII (20 mai 1799.)
Regardons ces cinq moments, ce  sont ceux qui mettent en présence les deux héros : 
- La rencontre à l’auberge des Trois Maures
- La scène où Marie est démasquée à la Vivrière
- Le moment où Marie prend sa revanche pendant le bal de Saint-James
- La réconciliation lors l’entrevue chez Galope Chopine
- Enfin, le dénouement. Le mariage et la mort des deux amants à Fougères.
Balzac à l’écoute du goût de ses lecteurs pour les romans d’aventures sacrifie avec jubilation à cette mode. Il a pour parrains Walter Scott et Fenimore Cooper, un Anglais et un Américain auxquels il emprunte des éléments de leurs œuvres pour bâtir la sienne. Il y a du sang et de la passion et la mort des amants, la brune Marie de Verneuil aux cheveux longs et le blond jeune et agile marquis de Montauran, le Chouan recherché par l’armée et la police de Bonaparte. Le colonel Hulot est chargé de mener cette traque dans cette aventure tragique et pour lui indigne car elle déroge à ses principes de soldat formé aux codes de la guerre classique.
Ce drame se noue et se dénoue entre Fougères et Mortagne sous l’œil d’une Eglise bretonne puissante et fanatique symbolisée par le redoutable abbé Gudin, l’âme des Sacrés-Cœurs, qui utilise comme une arme la religion dont il s’est fait maître. Il affirme ne se battre que « pour Dieu et le Roi » et sacrifie pour cette devise des hommes frustres et fanatisés.

Pour aller plus loin
Balzac inaugure dans Les Chouans un système nominal et qui caractérise un ou des traits saillants (physique ou moral) de certains de ses personnages. Il invente le Type.
Le roman feuilleton procédera de la même façon pour désigner ses héros.

Chez les Blancs :
Le Gars,
Marche-à-Terre,
Pille-Miche,
Galope-Chopine,
Mène-à-Rien,
Barbette (la femme de Galope-Chopine),
La Jument à Charrette (Mme du Gua qui fut la maîtresse du fameux général vendéen),
l’Intimé (le baron du Guénic) car il avait la confiance du Gars.
Les Blancs invoquent essentiellement dans leurs prières la Sainte Vierge, Sainte Anne d’Auray, Saint Labre et Saint Sulpice.

Chez les Bleus :
Moins pittoresques que les Bretons, les bleus se prêtent moins à l’utilisation d’un surnom. Notons :
La Clef-des-Cœurs,
Beau-Pied,
Larose,
Vieux-Chapeau..
Ils invoquent quant à eux Saint Robespierre et Sainte Guérite.
Terminons sur le juron préféré du colonel Hulot : « Tonnerre de Dieu »

Balzac Chouans 01

 

Balzac - Les Chouans (affiche du film)

Balzac - Les Chouans (affiche du film)

Balzac : Les Chouans ou La Bretagne en 1799. 1829
Tag(s) : #Lire Balzac La Comédie humaine
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