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A l’inauguration du canal de Suez, Fromentin est officiellement invité par le Khédive d’Egypte. Il s’y rend, un brin désabusé, avec d’autres artistes. « Aujourd’hui que le monde est à tous, écrit-il, il faut, pour surprendre, instruire ou intéresser, de lointains voyages, beaucoup d’aventures ou beaucoup de savoir. »
C’est à Charles Edmond, ami d’Edmond de Goncourt, que Fromentin doit son invitation à assister aux cérémonies de l’ouverture du canal de Suez. Sous les yeux de toute l’Europe, la France voit couronner l’entreprise d’un des ses glorieux fils, Ferdinand de Lesseps.
Assistent à ces fêtes somptueuses :
L’empereur d’Autriche, le prince royal de Prusse, le prince et la 
princesse des Pays-Bas, le prince de Hanovre, l’émir Abdel Kader et tout un cortège d’Altesses et d’Excellences.
Sa Majesté l’Impératrice des Français devait traverser la première, sur son yacht pavoisé, l’Aigle, le canal des deux mers. Une armée de savants et d’artistes, venue de tous les pays d’Europe, assistait à la cérémonie. Citons pour les invités Français, outre Eugène Fromentin, Théophile Gautier, Jean-Léon Gérôme, Narcisse Berchère (1819-1891), ami de Fromentin qui publie ses lettres sous le titre Le désert. Cinq mois dans l’isthme, le peintre Tournemine, Louise Colet (1810-1876) qui relate son voyage dans son récit posthume Les pays lumineux. Voyage en Orient (1879).
Le Khédive Ismaïl lance mille invitations à l’élite européenne. 102 de ces invités sont conviés à une excursion en Haute-Egypte. Pour ces derniers le programme suivant a été établi.
Les tableaux inspirés par l’Egypte donnent tous une impression d’harmonie, de justesse, d’équilibre et de douceur. Il lui arrive dans son carnet de décrire un rutilant coucher de soleil sur le Nil, mais il préférera à ces jeux da la lumière, les dégradés et leurs alliances subtiles ; il refuse, ou du moins, il ne s’intéresse pas au pittoresque accidentel.
« je suis persuadé, comme vous pouvez l’être, que Marilhat est un incomparable maître, mais j’estime aussi comme vous qu’il y a quelque chose à faire encore après lui » écrit Fromentin à son camarade Berchère qui venait de partir pour l’Egypte. Rappelons que Marilhat est mort à 36 ans.
Maxime du Camp note dans ses Souvenirs littéraires : « il y avait en lui un idéal de perfection qui ne lui permit jamais d’être satisfait. » Fromentin doutait de ses capacités de peintre. Pourtant Sainte-Beuve, parlant de lui,
remarquait : « Il a deux muses, il est peintre en deux langues, il n’est pas amateur, mais artiste consciencieux, sévère et fin dans les deux. »
Il a le regard et la mémoire d’un peintre. Il a exposé pendant 30 ans, dans tous les salons, des œuvres remarquées.
Le style de Fromentin ne présente aucune expression vague, pas une épithète creuse, pas un mot abstrait, aucune recherche, aucune affectation, une propriété de termes, , une simplicité de forme, une justesse de ton incomparables.
A ces deux panneaux algériens que sont Un été au Sahara et Une année dans le Sahel, Fromentin comptait en ajouter un troisième : la pastorale aux bord du Nil. Pour le préparer il avait tenu un journal, ce journal nous reste.
Fromentin note au vol ses sensations puis laisse se décanter au fond de sa mémoire. Il les convoque ensuite pour composer, souvent en plusieurs fois, le récit définitif.
En partant pour l’Egypte nous prévient : « j’écrirai plus que je ne dessinerai. »
Le rythme accéléré de l’expédition, le bruit, la foule et la chaleur l’éprouvent beaucoup. Il écrit à sa femme « Si j’avais un peu de la forme qui m’échappe, pour joindre aux impressions de lumière et de couleurs dont je fais provision, ce rapide, trop rapide défilé devant des merveilles, ne serait pas cependant sans profit. » Il note par écrit tout ce qui se passe, mais il doute de l’efficacité de ce qu’il entreprend parce qu’il a conscience qu’il manque à ses observations l’élément humain qu’il n’a pas le temps de le rencontrer. Et qu’il sait qu’on attend de lui un récit dans le genre Un été au Sahara. Il se décourage : « il est trop tard, je suis trop vieux, on va trop vite. »
Mariette trace l’itinéraire. On s’arrête devant les débris archéologiques mais « le paysage, les habitudes, les habitants, ces délicieuses marines à tous les tournants du fleuve. On a jugé naturellement que cela n’entrait pas dans un programme d’exploration. Et nous autres peintres, on nous fait impitoyablement passer à toute vapeur devant nos véritables sujets d’étude. »
Il donnerait, dit-il, tout un temple pour son reflet sur l’eau. Les pyramides ? « Magnifique ! »
Par contre il compare constamment l’Egypte pastorale ou désertique avec le Sahel et le Sahara.
Il évoque la vallée du Nil, en automne, avec ses grandes lignes étirées, son paysage élargi par la crue, sa tendre lumière et son humide douceur.
« L’esclave du ton » comme l’appelait son ami Armand du Mesnil ne se lasse point de faire vibrer la gamme des couleurs éphémères et le classique s’attarde à dégager les caractères durables et généraux. Il a su dire la magie fugitive des soirs d’octobre sur le Nil ou dessiner les traits immuables de la campagne ou du désert.
L’Egypte à la fin de l’été, l’Egypte de tous les temps, voilà ce qu’a pu fixer Fromentin avec sa plume.

Une Egypte avec sa lumière d’automne, avec cette robe argent et rose qui aurait séduit Corot.
Si les récits algériens de Fromentin ont un peu vieilli, c’est que cette Algérie n’existe plus ; c’était l’Algérie de la conquête, « toute aristocratique et militaire. » L’Egypte de Fromentin est décrite en évitant l’anecdotique et offre une image plus synthétique et dépouillée. Voilà pourquoi ces notes n’ont pas pris une ride, l’Egypte sans route et où le Nil demeure « la seule grande voie de navigation. » Si les villes ont changé, rien n’a bougé dans les bourgades du Fellah posée au bord du fleuve.
Par peur de se répéter il renonce, à son retour, au monde chatoyant des images pour affronter celui des idées. Il s’attelle à son ouvrage Les Maîtres d’autrefois. Mais il reste occupé par l’Egypte : il le confie dans une lettre adressée à Edmond de Goncourt en 1875 : « l’Egypte ! l’Egypte ! Je suis tourmenté d’écrire quelques pages sur ce pays… Figurez-vous une terre bourbeuse, quelque chose… comme du caoutchouc, où le pas ne s’entend pas… Un ciel bleu tendre… Là, à tous les plans, d’imperceptibles voiles de vapeur, devenant plus intenses à mesure qu’elles s’éloignent… Là, des bonhommes noirs ou bleus : il est rare de rencontrer une note rouge. »
Fromentin excelle, en peinture comme en littérature, dans le paysage. Il peint des personnages à la Delacroix qu’il place dans des paysages à la CorotSon art peut ainsi se résumer : souplesse, finesse, modération, classicisme.
A la fin de sa vie, la peinture de Fromentin était très appréciée et se vendait cher ; « Le public court aux Fromentin, comme un enfant court aux confitures » écrit ironiquement Edmond About.
Son métier de peintre le poussait toujours à affiner, à corser ou à envelopper son expression, à enrichir son vocabulaire. On le voit dans ces pages à la fois précises et frémissantes, subtiles et solides.
Le Nil est tantôt « boueux », « chocolat clair », tantôt « gris comme de l’étain fondu », tantôt « bitume et bleu », tantôt « d’argent vert » ; la lumière peut être « aigre », la verdure « criarde » ou « fade », le bleu « faux », la terre « sourde » et « livide ».
Fromentin sait jouer avec toute la gamme des tons, depuis le jaune soufre jusqu’à l’ocre pâle. Mais il sait faire également chatoyer les moires entre le violet, le gris-bleu, le lilas et le rose.

Eugène Fromentin - Jeune femme devant le Nil (1876)

Eugène Fromentin - Jeune femme devant le Nil (1876)

Eugène Fromentin (1820-1876) - Egypte
Eugène Fromentin (1820-1876) - Egypte
Eugène Fromentin (1820-1876) - Egypte
Eugène Fromentin (1820-1876) - Egypte
Tag(s) : #Récits de voyage et peinture orientaliste
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