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Le roman de la vie amoureuse de Balzac

Lecture biographique de La Cousine Bette

Valérie Marneffe et Lisbeth Fischer, images tirées du film de Des McAnuff, 1998

Valérie Marneffe et Lisbeth Fischer, images tirées du film de Des McAnuff, 1998

Présentation
           En 1846 Balzac ne comprend pas pourquoi Eve Hanska s’oppose toujours avec tant de fermeté à leur mariage. De retour d’Italie où il a passé plusieurs semaines  il se réfugie dans sa chère Touraine, sa région de naissance. De là il repart en  Allemagne parce que Eve y est. Elle se dérobe encore, dit qu’elle ne souhaite pas se lier officiellement, elle hésite, veut et ne veut plus, reporte à plus tard. Balzac harassé, le corps usé par le long enfantement de La Comédie humaine, ses nuits blanches stimulées par le fameux café qui lui a percé l’estomac et par ses espoirs déçus résiste, insiste, supplie. Il aime et il désire. Son idée fixe : épouser la riche et belle comtesse Eve Hanska. Ce désir devient le but suprême de sa vie. Il pense l’atteindre par la seule voie qu’il connaisse, le travail, l’écriture, la mise en mots de son univers.
L’histoire
L’histoire de La Cousine Bette se déroule sur cinq ans, de 1838 à 1843. En réalité l'intrigue s’achève trois années plus tard, en février 1846.
Trois parties composent l’ensemble :

- Juillet de l’année 1838 : Introduction. Mise en place du sujet. Présentation des personnages. Intrigue nouée. Lisbeth la dure cousine et le faible baron Hulot, un homme de désordre. Hulot se perd car la société n’a pas su l’utiliser. Abandonné à lui-même « il se met en service actif auprès des femmes. »
Crevel le négociant parvenu.
Bette trahit ses bienfaiteurs grâce à la complicité de Valérie Marneffe et de son ignoble mari, « pourri jusqu’aux os. »
Haine et vengeance se poursuivent avec le gendre : l’histoire de Wenceslas, l’aristocrate polonais, artiste, qui épouse Hortense, la fille Hulot, et la trompe avec Valérie Marneffe.Wenceslas est incapable de réaliser une œuvre, comme tous les artistes « qui mentent à leur début. »

- 1841 : Le drame. Ruine et déshonneur de la famille Hulot. Hulot (Victor Hugo ?). L’épisode du constat d’adultère dans un meublé rappelle celui vécu par Hugo et Léonie Biard surpris en pleine « conversation criminelle » en 1843.
Adeline s’offre comme une courtisane à Crevel, qui refuse (Mme Arnoux agit de la même façon dans l’Education sentimentale. Elle s’offre aussi en vain à Frédéric, mais sans l’aspect marchand qui caractérise la scène du roman de Balzac.)
Le Maréchal Hulot, le frère respecté du baron, est emporté en trois jours. La honte provoquée par la conduite inqualifiable de son frère a eu raison de lui.
Valérie et Crevel, désormais mariés, sont empoisonnés par le premier amant de Valérie, le Brésilien Montès, manipulé par Mme de Saint Estève.
Bette, poitrinaire, meurt.
Hulot abandonne sa famille pour vivre sous un nom d’emprunt avec une jeune fille. Il s’installe à la périphérie du monde qui est le sien : il vit au gré de ses « mariages » avec les adolescentes qu’il peut s’offrir. Il loge ainsi dans différents faubourgs populaires de la capitale : rue Saint Maur, rue de Charonne, la petite Pologne, le quartier Saint Antoine, Passage du Soleil, près de la rue Saint Lazare.

- 1843 : La Famille Hulot de nouveau au complet retrouve ses droits et son aisance financière. Elle vit pusieurs mois dans une tranquillité qui ressemble au bonheur. Mais le baron, toujours travaillé par sa passion des femmes, commet l’irréparable : il noue une relation avec la cuisinière. Un soir, alertée par un bruit, Adeline les surprend, a une attaque et meurt.
Le baron quitte Paris pour la Normandie et, la période de deuil passée, épouse la jeune domestique.

Première partie

Crevel fait sa cour à Adeline Hulot
Crevel, 50 ans. Riche grâce au négoce. Conduisant un élégant équipage, il arrive chez la baronne Adeline Hulot en uniforme de la garde nationale. Uniforme qui impressionne toujours « les femmes assez dépravées » pour l’être.
Adeline, femme blonde, a 48 ans et sa fille Hortense, 21 ans.
Lisbeth la cousine brune, sèche, mal fagotée « avec des souliers à peau de chèvre » attend dans le jardin la fin de l’entrevue.
Il observe l’intérieur fané de l’hôtel Hulot. Crevel sait évaluer grâce à son coup d’œil de marchand « la richesse réelle » et « la richesse supposée » d’un appartement. « Le mot gêne vomi par tout le mobilier » dit-il à son hôtesse. « Les preuves mal déguisées de la misère » sont partout.
Crevel est « toqué » d’Adeline. « La belle Mme Hulot – cf. « La belle Mme Hugo. » Il se dit qu’elle lui « irait comme un gant. »
Il la désire, parce qu’elle est belle mais aussi parce qu’il  veut se venger de son mari qui lui a « soufflé » sa maîtresse.
Adeline en pleurs le supplie devenir à son secours.
Il faut une dot à Hortense. Sinon elle ne se mariera jamais, quelque belle qu’elle soit. « Marier ma fille ou mourir. » Elle doit absolument trouver 200000 francs. Crevel veut bien les lui donner en échange « des bontés. »
Refus. Dédain. Mépris d’Adeline. « Ne dirait-on pas que je suis un nègre » s’insurge, vexé, Crevel.
Balzac nous explique l’origine de l’indéfectible amour d’Adeline pour son mari. Le baron Hulot, dans sa jeunesse, avait « l’œil bleu d’un feu, d’un jeu, d’une nuance irrésistibles. » Imbu des idées du « Directoire en fait de femmes » il séduit tout ce qui porte jupon.
Douze années de pur bonheur se passent puis les infidélités d’Hector surviennent, par ennui et par goût. Adeline ne lui reproche rien, se tait en vertu, explique Balzac, de « la délicatesse qui ne se rencontre que chez ces belles filles du peuple qui savent recevoir des coups sans en rendre. » Une vraie aristocrate, faisant valoir son égalité de sang, se serait rebellée en agissant de la même façon que son mari.
Pour arriver à son but, Crevel dénonce Hulot à sa femme, son partenaire en débauche. Crevel avait pour maîtresse Josépha, connue à 15 ans (elle a 20 ans en 1834.)
Hulot, lui, protégeait Jenny Cadine, une fille séduite à 13 ans. Les maris, poursuit Crevel, racontent des choses de leurs femmes à leurs maîtresses. Elles savent les moindres détails de leurs occupations intimes.
Paris, conclut Balzac, est selon le hasard des destins individuels « un enfer ou un paradis. »

Lisbeth Fischer
Alors que sa cousine Adeline vit dans un bel hôtel particulier, Lisbeth loue un petit appartement dans un quartier misérable. Pour elle cette différence de statut est profondément injuste. Mais en position de faiblesse elle courbe l’échine en ruminant sa rancœur. Sans désir et sans rêve Bette s’est en apparence « résignée à ne rien être ».
Voici le point de départ de la jalousie puis de la haine de Bette à l’égard de sa famille. Ce sentiment, certaines circonstances de l’histoire le transformeront en un vif et monstrueux désir de vengeance. La rencontre avec l’amorale Valérie Marneffe précipitera le drame jusque là en latence.
Bette, nous dit Balzac, est comme « les sauvages qui parlent peu et pensent beaucoup. » Elle refuse tout « par une force plus forte qu’elle. »
Mais, grâce à son silence justement, on se confiait à elle. Elle « était le confessionnal de la famille. » Sauf pour la baronne qui se méfait toujours d’elle (il est vrai que Bette la frappait lorsqu’elles étaient enfants.)
Bette, imprévisible et sans culture, transforme par exemple les vêtements que sa cousine lui donne et, les recoupant, les abîme. Elle les redessine à « la mode de l’Empire » : elle vit, comme le cousin Pons, 30 ans en arrière.
Balzac revient sur l’idée de « la pensée sauvage. » « Le sauvage, dit-il, n’a que des sentiments, le civilisé a des sentiments et des idées. »
Bette, la sauvage Lorraine, est une figure de Giotto. Elle passe inaperçue dans la rue car à Paris « on ne regarde que les jolies femmes. »
Interrogée par Hortense sur ses amours la rusée Bette pratique « le jeûne de la parole. » Pour Balzac, cette relation improbable entre la vieille fille et le jeune homme consiste à « marier la faim et la soif. » Bette avoue à sa jeune parente le caractère platonique de son amour: « nous nous aimons d’âme : c’est moins cher. » Bette, consciente de son manque d'attrait, rassure sa cousine en se dépréciant : « une fille charbonnée comme je le suis… »
L'innocente Hortense, en échange des confidences de Bette, lui donne un châle en cachemire jaune : « cette couleur est le fard des brunes. » Ce châle, justement, elle le convoitait depuis longtemps.
L’homme dont il est question, un exilé Polonais, se nomme Wenceslas Steinbock et avait 8 ans en 1812. Il a donc 33 ans au moment où se déroule l’histoire. Artiste, il a sculpté un groupe de toute beauté, Samson et le lion, qu’il a enterré pour le vieillir et qu’il expose chez un marchand à la brocante, place du Carrousel.
Au soir de cette journée, Balzac introduit le baron. Son arrivée chez lui est décrite comme est décrit un personnage dont le « ventre se soutenait comme dit Brillat-Savarin. » Ses favoris trop noirs jurent avec le reste de sa physionomie. On sait qu’il ne se formalise pas des moqueries de Josépha,sa maîtresse, qui l’appelle son vieux chat teint.
A ce stade du roman Balzac développe ses idées : sur la vertu, sur les vices et, problème qui le préoccupait au plus haut point, sur la bonne éducation à donner aux enfants.
Ce soir là, chez les Hulot, la réunion de famille à l’heure du souper offre l’image d’un groupe apparemment heureux. Et pourtant, nous dit Balzac :
Le père est aux abois, la mère est au désespoir, le fils s’inquiète pour son père et la fille songe à voler l’amoureux de sa cousine.

Valérie Marneffe
Hulot qui a accompagné Bette chez elle remarque une femme. « Tout est dit » dès leur premier regard. Elle baisse les yeux : « le baron a l’impression que le soleil vient de disparaître. » C’est Valérie Marneffe. Suprêmement belle.  Elle est mariée et a un enfant.
Le mari : le Type « que chacun se dessine d’un homme traduit aux assises pour attentat aux mœurs. »
L’appartement dépeint présente le faux luxe des gens à qui l’argent manque. : une cuisine « mal soignée », une salle à manger, la chambre de monsieur avec un lit d’enfant. Le garçon ne vit pas avec ses parents (il est en pension.)
Exception : la chambre de madame, coquette comme une chambre de femme entretenue. L’amant est chez la femme mariée « le demi dieu toujours absent, toujours présent. » Son allure aguicheuse donne l’impression que Valérie est « à la recherche d’une friponnerie heureuse. »
Le dîner auquel nous assistons est « celui d’une famille pauvre. »
Au Doyenné, « les locataires d’une même maison ne se connaissent pas . » L’anonymat, constate l’auteur, est l’un des effets de la vie profuse, agitée, mélangée du Paris moderne.

Le doyenné
Le doyenné, où habite Bette a été choisi parce que « le loyer est modeste.» Lieu mal famé, il « donne froid à l’âme » au visiteur qui s’y attarde.
Situé face au prestigieux Louvre, cet endroit est lamentable, ruiné, sale, sombre. Le silence y règne et dès la tombée de la nuit, tous les vices de Paris s’y donnent « pleine carrière. » L’air y est glacial. Les maisons sont comme enterrées et les rues dépavées. La rue Froidmanteau est la pire des rues de ce demi-quartier mort.
Les maisons ont pour ceinture un marais du côté de la rue de Richelieu, un océan de pavés du côté des Tuileries, des baraques sinistres du côté des Galeries et des steppes de pierres de taille du côté du vieux Louvre.
Ici, dit Balzac, on réalise l’alliance intime de la misère et de la splendeur qui caractérise la reine des capitales.
Lorsque Hulot pénétrera dans l’appartement de sa cousine, lorsqu’il verra son pauvre ameublement d’ouvrière en passementerie, il aura la nausée et se dira :  « voilà donc la vertu.

Bette et Steinbock
Bette, indifférente au dira-t-on, va voir Steinbock qui habite au dessus de chez elle. Lui frêle et blond, elle robuste et noire. On aurait dit que la nature s’était trompée en leur attribuant leurs sexes. Steinbock présentait « cette inconsistance particulière aux Slaves. » Et son amour du beau semblait le fragiliser encore un peu plus.
« Le beau ne vaut pas le solide et le solide, c’est moi » lui dit Bette devant son indolence. « Le beau idéal, fadaises… » continue-t-elle.
Bette ne sait rien de l’art.
Balzac explique en opposant ces deux personnages l’énergie de la femme des Vosges et la mollesse de l’homme des confins de l’Europe. Bette lui demande de ne pas aller « au quartier Notre Dame de Lorette » où sont les femmes faciles. Elle est avec le jeune artiste « comme une femme qui pardonne les mauvais traitements d’une semaine à cause des caresses d’un fugitif raccommodement. » En fait a pour la première fois de sa vie « quelqu’un à gronder, diriger, à flatter, à rendre heureux sans grande rivalité. » Elle l’enferme et ne le veut que pour elle, « comme une mère, comme une femme, comme un dragon. » Elle ne peut l’épouser, elle a peur. C’est une vieille fille avec les habitudes et les craintes des femmes restées trop longtemps seules affectivement. Et ne veut le donner « à aucune autre femme. » Bette lui dit que « le bonheur ne crée rien que des souvenirs. » Elle tente d’ignorer « tout ce qui sollicitait en elle les instincts comprimés de la femme. »
Pour elle le Polonais est « un homme de papier mâché. » Pour Wenceslas, Bette est à la fois « bonne et mauvaise. »
De son côté, Steinbock dans sa solitude imposée regardait certains jours Bette « comme un voyageur altéré traversant une cote aride regarde une eau saumâtre. » Dans Splendeur et Misère des courtisane, Esther, l’ancienne fille à numéro, en manque de caresses, regarde avec la même envie le Christ sur la croix dans le couvent où elle séjourne de force.

Hulot congédié par Josépha
Hulot se rend à l’hôtel que le duc d’Hérouville a offert à Josépha. Luxe raffiné, richesse intelligente : tableaux de Greuze, Watteau, Titien, Rembrandt, Van Dyck… En guise de rupture : « Je ne vous connais plus » lui dit froidement sa maîtresse. Elle congédie son chat teint. Hulot, lucide, se dit qu’il est impossible de lutter contre un million, lui l’endetté chronique.
De retour chez lui, Adeline conseille son incorrigible mari. Il faut, lui dit-elle, choisir des femmes « de petite condition », comme le fait Crevel, l’homme qui sait placer son argent.
« Les sentiments nobles poussés à l’excès ont le même effet que les plus grands vices » constate Balzac avec ironie.

Steinbock et Hortense
A dix heures, Hulot et sa fille vont voir le groupe exposé par Steinbock. Le baron croise de nouveau Valérie Marneffe. D’où vient-elle ? Pas du bain car elle a le visage fatigué des nuits blanches. Les Goncourt se rappelleront sans doute de ce passage quand ils évoqueront dans un article cette femme rentrant chez elle au petit matin son corset sous le bras, enveloppé dans un journal.
Hulot qui suit Valérie du regard aperçoit le mari en train de l’attendre.
Chez le marchand de curiosités. Réflexion sur l’art : le grand artiste, aujourd’hui, « c’est un prince qui n’est pas titré. » Les arts sont menacés par le petit (il n’y a plus de grands palais mais des appartements à surface réduite.)
Hortense explique à son père son subit amour pour le sculpteur. En amour « la première vue est toujours la seconde vue. » Coup de foudre. Cet instant
presque électrique n’est pas exceptionnel dans La Comédie humaine.
Pour la baronne, qui pense au mariage, c’est l’une des solutions proposées par Crevel. Elle lui semble, finalement, la meilleure : ce jeune homme, aristocrate est trop pauvre pour exiger une dot. L’honneur des Hulot est sauvé.
Steinbock pour sa présentation chez les parents d’Hortense est habillé en noir, couleur à la mode, nous rappelle Balzac. Il séduit, plait à la mère et bientôt au père. Le mariage décidé, le succès pour lui s’annonce enfin ; il vend son groupe. Il obtient des commandes de l’Etat grâce à la protection du baron, Directeur des fournitures au ministère de la guerre. Notamment la sculpture pour le tombeau au Père Lachaise du Maréchal Montcornet. Wenceslas aura même un atelier au Dépôt des marbres du gouvernement « situé, comme on sait, au gros-caillou. »
Mariage : un bal de noce, c’est le monde en raccourci. » 200 personnes sont invitées.
Hortense aura un trousseau, un appartement meublé, rue Saint Dominique, près des Invalides.

Lisbeth Fischer
Alors que sa cousine Adeline vit dans un bel hôtel particulier, Lisbeth loue un petit appartement dans un quartier misérable. Pour elle cette différence de statut est profondément injuste. Mais en position de faiblesse elle courbe l’échine en ruminant sa rancœur. Sans désir et sans rêve Bette s’est en apparence « résignée à ne rien être ».
Voici le point de départ de la jalousie puis de la haine de Bette à l’égard de sa famille. Ce sentiment, certaines circonstances de l’histoire le transformeront en un vif et monstrueux désir de vengeance. La rencontre avec l’amorale Valérie Marneffe précipitera le drame jusque là en latence.
Bette, nous dit Balzac, est comme « les sauvages qui parlent peu et pensent beaucoup. » Elle refuse tout « par une force plus forte qu’elle. »
Mais, grâce à son silence justement, on se confiait à elle. Elle « était le confessionnal de la famille. » Sauf pour la baronne qui se méfait toujours d’elle (il est vrai que Bette la frappait lorsqu’elles étaient enfants.)
Bette, imprévisible et sans culture, transforme par exemple les vêtements que sa cousine lui donne et, les recoupant, les abîme. Elle les redessine à « la mode de l’Empire » : elle vit, comme le cousin Pons, 30 ans en arrière.
Balzac revient sur l’idée de « la pensée sauvage. » « Le sauvage, dit-il, n’a que des sentiments, le civilisé a des sentiments et des idées. »
Bette, la sauvage Lorraine, est une figure de Giotto. Elle passe inaperçue dans la rue car à Paris « on ne regarde que les jolies femmes. »
Interrogée par Hortense sur ses amours la rusée Bette pratique « le jeûne de la parole. » Pour Balzac, cette relation improbable entre la vieille fille et le jeune homme consiste à « marier la faim et la soif. » Bette avoue à sa jeune parente le caractère platonique de son amour: « nous nous aimons d’âme : c’est moins cher. » Bette, consciente de son manque d'attrait, rassure sa cousine en se dépréciant : « une fille charbonnée comme je le suis… »
L'innocente Hortense, en échange des confidences de Bette, lui donne un châle en cachemire jaune : « cette couleur est le fard des brunes. » Ce châle, justement, elle le convoitait depuis longtemps.
L’homme dont il est question, un exilé Polonais, se nomme Wenceslas Steinbock et avait 8 ans en 1812. Il a donc 33 ans au moment où se déroule l’histoire. Artiste, il a sculpté un groupe de toute beauté, Samson et le lion, qu’il a enterré pour le vieillir et qu’il expose chez un marchand à la brocante, place du Carrousel.
Au soir de cette journée, Balzac introduit le baron. Son arrivée chez lui est décrite comme est décrit un personnage dont le « ventre se soutenait comme dit Brillat-Savarin. » Ses favoris trop noirs jurent avec le reste de sa physionomie. On sait qu’il ne se formalise pas des moqueries de Josépha,sa maîtresse, qui l’appelle son vieux chat teint.
A ce stade du roman Balzac développe ses idées : sur la vertu, sur les vices et, problème qui le préoccupait au plus haut point, sur la bonne éducation à donner aux enfants.
Ce soir là, chez les Hulot, la réunion de famille à l’heure du souper offre l’image d’un groupe apparemment heureux. Et pourtant, nous dit Balzac :
Le père est aux abois, la mère est au désespoir, le fils s’inquiète pour son père et la fille songe à voler l’amoureux de sa cousine.

Valérie Marneffe
Hulot qui a accompagné Bette chez elle remarque une femme. « Tout est dit » dès leur premier regard. Elle baisse les yeux : « le baron a l’impression que le soleil vient de disparaître. » C’est Valérie Marneffe. Suprêmement belle.  Elle est mariée et a un enfant.
Le mari : le Type « que chacun se dessine d’un homme traduit aux assises pour attentat aux mœurs. »
L’appartement dépeint présente le faux luxe des gens à qui l’argent manque. : une cuisine « mal soignée », une salle à manger, la chambre de monsieur avec un lit d’enfant. Le garçon ne vit pas avec ses parents (il est en pension.)
Exception : la chambre de madame, coquette comme une chambre de femme entretenue. L’amant est chez la femme mariée « le demi dieu toujours absent, toujours présent. » Son allure aguicheuse donne l’impression que Valérie est « à la recherche d’une friponnerie heureuse. »
Le dîner auquel nous assistons est « celui d’une famille pauvre. »
Au Doyenné, « les locataires d’une même maison ne se connaissent pas . » L’anonymat, constate l’auteur, est l’un des effets de la vie profuse, agitée, mélangée du Paris moderne.

Le doyenné
Le doyenné, où habite Bette a été choisi parce que « le loyer est modeste.» Lieu mal famé, il « donne froid à l’âme » au visiteur qui s’y attarde.
Situé face au prestigieux Louvre, cet endroit est lamentable, ruiné, sale, sombre. Le silence y règne et dès la tombée de la nuit, tous les vices de Paris s’y donnent « pleine carrière. » L’air y est glacial. Les maisons sont comme enterrées et les rues dépavées. La rue Froidmanteau est la pire des rues de ce demi-quartier mort.
Les maisons ont pour ceinture un marais du côté de la rue de Richelieu, un océan de pavés du côté des Tuileries, des baraques sinistres du côté des Galeries et des steppes de pierres de taille du côté du vieux Louvre.
Ici, dit Balzac, on réalise l’alliance intime de la misère et de la splendeur qui caractérise la reine des capitales.
Lorsque Hulot pénétrera dans l’appartement de sa cousine, lorsqu’il verra son pauvre ameublement d’ouvrière en passementerie, il aura la nausée et se dira :  « voilà donc la vertu.

Bette et Steinbock
Bette, indifférente au dira-t-on, va voir Steinbock qui habite au dessus de chez elle. Lui frêle et blond, elle robuste et noire. On aurait dit que la nature s’était trompée en leur attribuant leurs sexes. Steinbock présentait « cette inconsistance particulière aux Slaves. » Et son amour du beau semblait le fragiliser encore un peu plus.
« Le beau ne vaut pas le solide et le solide, c’est moi » lui dit Bette devant son indolence. « Le beau idéal, fadaises… » continue-t-elle.
Bette ne sait rien de l’art.
Balzac explique en opposant ces deux personnages l’énergie de la femme des Vosges et la mollesse de l’homme des confins de l’Europe. Bette lui demande de ne pas aller « au quartier Notre Dame de Lorette » où sont les femmes faciles. Elle est avec le jeune artiste « comme une femme qui pardonne les mauvais traitements d’une semaine à cause des caresses d’un fugitif raccommodement. » En fait a pour la première fois de sa vie « quelqu’un à gronder, diriger, à flatter, à rendre heureux sans grande rivalité. » Elle l’enferme et ne le veut que pour elle, « comme une mère, comme une femme, comme un dragon. » Elle ne peut l’épouser, elle a peur. C’est une vieille fille avec les habitudes et les craintes des femmes restées trop longtemps seules affectivement. Et ne veut le donner « à aucune autre femme. » Bette lui dit que « le bonheur ne crée rien que des souvenirs. » Elle tente d’ignorer « tout ce qui sollicitait en elle les instincts comprimés de la femme. »
Pour elle le Polonais est « un homme de papier mâché. » Pour Wenceslas, Bette est à la fois « bonne et mauvaise. »
De son côté, Steinbock dans sa solitude imposée regardait certains jours Bette « comme un voyageur altéré traversant une cote aride regarde une eau saumâtre. » Dans Splendeur et Misère des courtisane, Esther, l’ancienne fille à numéro, en manque de caresses, regarde avec la même envie le Christ sur la croix dans le couvent où elle séjourne de force.

Hulot congédié par Josépha
Hulot se rend à l’hôtel que le duc d’Hérouville a offert à Josépha. Luxe raffiné, richesse intelligente : tableaux de Greuze, Watteau, Titien, Rembrandt, Van Dyck… En guise de rupture : « Je ne vous connais plus » lui dit froidement sa maîtresse. Elle congédie son chat teint. Hulot, lucide, se dit qu’il est impossible de lutter contre un million, lui l’endetté chronique.
De retour chez lui, Adeline conseille son incorrigible mari. Il faut, lui dit-elle, choisir des femmes « de petite condition », comme le fait Crevel, l’homme qui sait placer son argent.
« Les sentiments nobles poussés à l’excès ont le même effet que les plus grands vices » constate Balzac avec ironie.

Steinbock et Hortense
A dix heures, Hulot et sa fille vont voir le groupe exposé par Steinbock. Le baron croise de nouveau Valérie Marneffe. D’où vient-elle ? Pas du bain car elle a le visage fatigué des nuits blanches. Les Goncourt se rappelleront sans doute de ce passage quand ils évoqueront dans un article cette femme rentrant chez elle au petit matin son corset sous le bras, enveloppé dans un journal.
Hulot qui suit Valérie du regard aperçoit le mari en train de l’attendre.
Chez le marchand de curiosités. Réflexion sur l’art : le grand artiste, aujourd’hui, « c’est un prince qui n’est pas titré. » Les arts sont menacés par le petit (il n’y a plus de grands palais mais des appartements à surface réduite.)
Hortense explique à son père son subit amour pour le sculpteur. En amour « la première vue est toujours la seconde vue. » Coup de foudre. Cet instant
presque électrique n’est pas exceptionnel dans La Comédie humaine.
Pour la baronne, qui pense au mariage, c’est l’une des solutions proposées par Crevel. Elle lui semble, finalement, la meilleure : ce jeune homme, aristocrate est trop pauvre pour exiger une dot. L’honneur des Hulot est sauvé.
Steinbock pour sa présentation chez les parents d’Hortense est habillé en noir, couleur à la mode, nous rappelle Balzac. Il séduit, plait à la mère et bientôt au père. Le mariage décidé, le succès pour lui s’annonce enfin ; il vend son groupe. Il obtient des commandes de l’Etat grâce à la protection du baron, Directeur des fournitures au ministère de la guerre. Notamment la sculpture pour le tombeau au Père Lachaise du Maréchal Montcornet
Wenceslas aura même un atelier au Dépôt des marbres du gouvernement « situé, comme on sait, au gros-caillou. »
Mariage : un bal de noce, c’est le monde en raccourci. » 200 personnes sont invitées.
Hortense aura un trousseau, un appartement meublé, rue Saint Dominique, près des Invalides.

Bette furieuse
A l’annonce du mariage de Steinbock et d’Hortense Bette explose : elle se considère comme trahie par ses parents. Et le désir de se venger « écrit au fond de son cœur comme sur un agenda » se réveille. Elle se rend compte que « depuis 26 ans elle n’a eu que les restes » de cette famille pour laquelle elle s’est sacrifiée.
Bette, une « fille de soufre et de feu » se sent la force « d’escalader le Paradis » et se battre pour un peu de pain, de l’eau, des guenilles et une mansarde.
Encore vierge, et ceci expliquant cela semble suggérer Balzac, Bette ressent en « Mohican » cette haine subite et dissimulée comme il « n’en surgit qu’en Italie, en Espagne et en Orient. » Un sentiment que l’on ne rencontre que dans les pays baignés de soleil où haine et vengeance vont de pair.

L’amour moderne
Valérie Marneffe théorise sa manière d’aimer et développe, devant Bette devenue sa confidente, sa conception de l’amour qu’elle met en pratique. Hulot évidemment en fait les frais : une guerre longue et onéreuse pour le baron s’entame. Valérie se débarrasse de son mari qu’elle envoie en Suisse « pour y étudier le beau sexe. » Cette trêve lui permet d’asseoir définitivement son ascendant sur Hulot.
Hulot ne supportant plus le Doyenné aménage Valérie rue Vanneau dans un joli appartement, entre cour et jardin. Il demande à sa cousine de « surveiller » sa nouvelle conquête et lui trouve, pour ce faire, un  appartement au dessus de celui de Valérie.
Hulot, est saisi d’une passion aveugle pour Valérie qu’il croit bourgeoisement honnête et l’imagine différente des courtisanes dont la  rapacité, se souvient-il sans nostalgie, est « comparable à la soif du sable », inextinguible.
Valérie avec adresse donne l’air de l’aimer pour lui même. Flattant ses capacités de séducteur, vieilli certes, mais encore vaillant, elle refuse dans un premier temps son argent et ses cadeaux. Puis accepte, comme si elle se forçait et capitule simplement pour lui plaire. Le baron est épaté.
Le mari joue le jeu et feint de croire que Hulot, « le Jupiter de son ministère », n’a aucunement l’intention « de descendre en pluie d’or sur sa femme. »
Fille naturelle du maréchal Montcornet, Valérie se présente comme une « femme comme il faut. » Mais la misère dans laquelle elle était tombée ne pouvait que provoquer le « naufrage de sa vertu. »
Elle décide alors d’utiliser sa beauté comme moyen de faire fortune.
Le système Marneffe est simple. Le mari laisse libre sa femme car, est-il dit, « il préfère les guenons du coin de la rue. » Le couple fait budget à part.
Marneffe n’importune jamais sa femme dans sa chambre et s’il ne la voit pas le matin, il ne lui demande jamais où elle était. Couple d’allure moderne il fonctionne en réalité selon un principe classiquement prostitutionnel. La femme vend son joli corps avec l’assentiment passif du mari. Cette association à intérêts multiples rapportera très rapidement d’énormes bénéfices, essentiellement à Valérie.
Valérie est prise pour une honnête femme. Elle ne veut en aucun cas démentir cette impression. Elle avoue à Bette n’avoir commis qu’une seule faute. Avec un Brésilien, l’unique amour de sa vie, parti depuis un an. Et qui pour son malheur reviendra.

Chez Crevel
Tout dans sa maison est discordant. Art vieillot, pompeux, grossier. Sur ses murs il a accroché des toiles de Pierre Grassou, le peintre appliqué et sans talent des bourgeois de la Comédie humaine.
Balzac réfléchit à propos du mécénat en art. Il parle de ce qu’il a vu en Italie et ce qui existe en France. Et note l’abîme qui sépare en la matière les deux pays.
Il rappelle que Notre Dame n’a toujours pas de clochers, faute d’argent.
Rappel politique : César Birotteau, l’inventeur de la cosmétique pour tous et de la géniale « pâte des Sultanes », était royaliste. C’est la raison pour laquelle la bourgeoisie louis-philipparde l’a abattu (cf. l’explication donnée par le roman éponyme.) Fier de sa réussite, Crevel est persuadé qu’il a dépassé le parfumeur, son modèle commercial, d’au moins « cent coudées. »
L’ancien négociant représente cette bourgeoisie triomphante, décomplexée et sûre d’elle, en phase avec les idées de son temps.
Célestin Crevel n’habite presque plus sa maison. Il loge chez sa nouvelle maîtresse, Héloïse Brisetout qui lui doit, dit-il, 500 francs de bonheur par mois. Il
justifie cette situation par souci d’économie : « Il vaut mieux, dit-il, avoir des chevaux loués au mois qu’une écurie à soi.»
L’idée fixe qui anime l’avisé quinquagénaire : se venger du baron Hulot qui lui a volé sa maîtresse Josépha. Il veut pour cela le tromper avec sa femme, l’inaccessible et toujours belle Adeline qui peut encore émouvoir, dit Balzac, « les amateurs de couchers de soleil. »
Il veut absolument connaître une femme de haut rang, et pour lui, Adeline en est une. Et voici comment il se l’imagine : « les houris de Mahomet ne sont rien en comparaison de ce que je me figure des femmes du monde. »
A 50 ans, Crevel se sent à la fois vieux et jeune. Il veut jouir de sa fortune, profiter de ce que son argent peut lui offrir maintenant qu’il a du temps : il est veuf et sa fille, mariée, a quitté la maison. Il est de ceux qui pensent qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien. Et Paris regorge de jeunes personnes affectueuses, charmantes, reconnaissantes et disponibles. A ce propos un on malicieux nous apprend que « les petits pieds » des femmes constituent un signalement, une indication précise sur une particularité physique de leurs propriétaires, que Balzac nous laisse deviner.
Et repensant à Adeline Hulot et son attachement à son mari, Crevel se demande pourquoi « les dévotes aiment les mauvais sujets. » Crevel nous informe que le baron Hulot, en héritier de l’esprit impérial, avait toujours trois maîtresses : celle qui devait être quittée, la régnante et la nouvelle. Il n’était ainsi jamais à cours de tendresse.

Le mariage d'Hortense
Le bal donné à l’occasion du mariage d’Hortense Hulot d’Evry et du baron Wenceslas Steinbock est somptueux. Crevel, qui ne pardonne toujours pas à Hulot sa traîtrise, se querelle avec lui. « Allons, vraiment, c’est épicier ! » se moque superbement le vieux baron. Puis ils se réconcilient pour ne pas gâcher la fête où le tout Paris est réuni.
Le négociant apprend par Bette la bonne fortune de son rival. Après avoir été congédié par Josépha, Hulot s’est trouvé une nouvelle passion : une femme mariée, distinguée, honnête. Une « femme comme il faut. » Elle est décrite : musicienne, 23 ans, « une jolie figure candide, une peau d’une blancheur éblouissante, des yeux comme des étoiles, un front superbe…et des petits pieds pas plus larges que son busc. » Le rêve de Crevel réalisé. Dès cet instant il n’aura de cesse de rencontrer cette perle. Et l’idée de se l’approprier s’installe dans son esprit. Adeline Hulot d’un seul coup s’efface de son programme.
Hulot à qui Valérie a promis de se donner à lui cette nuit là s’esquive du bal et la rejoint. Balzac nous dit tranquillement qu’une double nuit de noce est célébrée dans la famille Hulot. Celle de la fille et celle du père. Celle du père a lieu avec « la plus innocente des filles et le plus consommé des diables » qui lui fait entrevoir « les roses du septième ciel. »
Cette nuit clôt la première partie du roman. Elle est dite le lendemain par l’annonce dans le journal du mariage d’Hortense Hulot en l’église Saint Thomas d’Aquin.

Deuxième partie

Une femme peut tout accepter sauf qu'on ne veuille pas d'elle. Alfred de Musset

L'autre mariage
La seconde partie du récit s’entame par une réflexion de l’auteur sur le fait que vivre de ses charmes « ne suffit pas nécessairement à faire la fortune d’une femme. » Il faut des amateurs sinon elles sont aussi inutiles qu’un « Corrège dans un grenier. »
Valérie est un Type, selon la nomenclature établie par Balzac dans La Comédie humaine. Elle est la femme vénale, formidablement intelligente, terriblement séduisante et affreusement efficace. Selon Balzac, il en existe plus d’une à Paris qui, comme elle, spéculent avec leurs corps et jouissent de la vie et du plaisir en ayant « leurs maris comme embaucheurs. »
L’auteur semble condamner ce genre de femmes qui jouent de la fausse vertu de la femme mariée et font preuve d’une désarmante hypocrisie. Alors que les courtisanes qui assument leur état sont, selon lui, beaucoup plus fiables et franches et donc bien plus honnêtes.
On voit, poursuit Balzac, « des Mme Marneffe à tous les étages de l’Etat social et même au milieu des cours, car Valérie est une triste réalité moulée sur le vif, dans ses plus légers détails. »
Trois ans après le mariage d’Hortense, Valérie vit toujours dans le bel appartement « d’allure honnête » de la rue Vanneau. Elle se rend tous les dimanches à l’église. Elle ajoute, nous dit l’auteur, pour tromper son entourage l’hypocrisie religieuse à l’hypocrisie sociale.
Elle reçoit dans cet appartement richement décoré la fine fleur des viveurs parisiens. Parmi eux, Crevel, qui a réussi à en faire secrètement sa maîtresse.
Et l’un de ses « disciples », le millionnaire Beauvisage, député de province qui tente de se faire connaître à Paris, « un de ces gens mis au monde pour faire foule. »
Crevel complètement conquis par Valérie ne peut s’empêcher de penser à sa pauvre femme, « assez laide, vulgaire et très sotte, morte à temps », qui ne lui a donné qu’un enfant, une fille, Célestine mariée à Victorin Hulot. Aussi aimerait-il avoir un autre enfant, un garçon. Ce désir de paternité, il aimerait le réaliser avec « sa duchesse », Valérie Marneffe qui ne voit pourtant en lui qu’une « caisse éternelle. » Mme Marneffe qui sait être devant le monde gracieuse et pudique se révèle, dans l’intimité du tête à tête, spirituelle et si inventive que, dans sa pratique, elle dépasse la plus douée des courtisanes. Trompé par son amour et émoustillé par les trouvailles amoureuses de Valérie, Crevel, si perspicace en affaire, ne pense à aucun moment qu’il peut être, dans cette relation inégale, « le dindon de la farce. » Comme Hulot, il pense être aimé pour lui-même.
Avec le baron Hulot, l’amant officiel, Valérie se veut rassurante et ne parle que de  fidélité dans la sagesse d’un amour reconnu par le mari même. Valérie pousse ainsi son vieil soupirant à réintégrer son âge : elle exige en ne comptant pas ses baisers qu’il renonce à se teindre favoris et cheveux et lui demande également de se défaire de ses ceintures de contention.
« Six mois après leur mariage clandestin et doublement infidèle », Hulot se montre avec ses cheveux blancs, ses sourcils encore noirs et son ventre débordant, enfin libéré. Et si son corps indiquait les remarquables « efforts d’une passion en rébellion avec la nature », l’image qu’il offrait désormais était celle d’un homme de plus de soixante ans.

Lisbeth encore
Une relation forte, faite de connivence et de sympathie, lie depuis leur rencontre la cousine Bette à Valérie. Stimulée par l’audace de la belle Mme Marneffe, Bette puise en elle, la sauvage enfant des Vosges, l’énergie nécessaire à sa vengeance. « On hait de plus en plus comme on aime tous les jours davantage quand on aime. » Leur complicité affichée, prévenante et caressante, fait cependant jaser. Elles sont calomniées, car trop proches, trop attentionnées l’une pour l’autre. Pour Lisbeth, Valérie « est sa fille, son amie, son amour », elle apprécie chez elle « l’obéissance de la créole, la mollesse de la voluptueuse. »
Au contact de sa nouvelle amie, Bette se transforme. De « chèvre affamée » elle devient une compagne pleine de ressource pour Valérie. Elle prend en charge l’intendance de la maison et parvient à faire de substantielles économies à la dépensière Mme Marneffe. Balzac s’autorise ici une diatribe virulente à l’encontre des domestiques à gages « qui pillent leurs maîtres » et sont « la plaie financière » des bourgeois qui les emploient. Il demande que soit étendu à leur endroit « le livret de l’ouvrier. »
L’auteur signale une des plaies qui menace l’équilibre démographique de la Nation : de jeunes ouvriers de 20 ans épousant des cuisinières de 40 ans, enrichies par le vol. (Une indication sociale : Balzac nous dit les ouvriers de Toulon gagnent  à cette époque 30 sous par jour alors qu’il en faut 40 pour vivre. Olympe Bijou, la petite brodeuse que nous rencontrerons plus loin, en gagne 16 à Paris.)
Ainsi Valérie grâce à Bette peut servir aux gourmets de la rue Vanneau « des mets sans actualité, comme le poisson quand il n’est pas cher » et que chacun trouve délicieusement originaux.
Cette vigoureuse prise en main des frais de bouche et la généreuse contribution de ses deux financeurs permettent à Valérie d’être au bout de six mois à la tête de la coquette somme de 150000 francs – ce qui lui permet de jouer à la bourse, « comme une vraie parisienne » insouciante et comblée.
« Je mourrai vierge » regrette en souriant la vieille fille devant le bonheur de son amie. Bonheur incomplet, se lamente Valérie, car il lui manque Steinbock, le frêle et beau sculpteur. Elle veut le prendre à Hortense sa femme qui « est de la jolie chair, elle est belle », certes, « mais moi, je me sens, dit-elle, je suis pire. » En gage de son amitié, elle demande Steinbock à Bette, qui fut son sauveur et sa protectrice.
Elle a assez de ses deux vieillards, et même de son mari : « un mort qu’on a oublié d’enterrer. » Elle veut pour son corps jeune le corps jeune d’un homme qui lui plait.
Bette est étrangement troublée par le climat d’extrême sensualité qui baigne la vie de Valérie et qu’accroissent les confidences intimes qu’elle lui fait. « Je jouis de tous tes plaisirs, de ta fortune, de ta toilette » lui avoue-t-elle, comme émue par procuration. Cet aveu n’est pas sans rappeler celui que Vautrin murmure à Lucien de Rubempré dans Splendeur et Misère des courtisanes.
Mais le taraudant besoin de faire du mal à sa famille reste intact. Elle sent bien que la haine satisfaite procure au cœur « ses jouissances les plus fortes, les plus ardentes. » Cette haine sublimée la satisfait et contente ce que Wenceslas avait réussi à son insu à faire trembler.
Contre la famille Hulot il est décidé que Valérie sera la hache et Bette la main qui la manie.

Rue Vanneau
La gêne financière de Hulot le contraint à déménager. Il installe Adeline rue Plumet dans un appartement triste : « la douleur de même que le plaisir se fait une atmosphère. » Chez Adeline le bonheur a fui, se transportant ailleurs.
Hulot n’est presque plus avec elle, se partageant entre la rue Vaneau et le ministère où il est « accablé de travail à cause de l’Algérie. »
Le couple Steinbock va mal, c’est un ménage qui « a de trop petits revenus pour une si grande passion. » Les Polonais, « ces Français du Nord » déclare Balzac, sont à la frontière de l’Europe et de l’Asie. Ils sont à moitié sauvages et donc complètement inefficaces quand ils sont démunis.
Un soir de fête où Valérie « était délicieusement mise », sa « blanche poitrine » serrée « dans une robe de velours noir qui semblait àchaque instant près de quitter ses épaules », le comte Montès, le Brésilien qui a toujours sa place dans son cœur, débarque chez elle. C’est un homme à front busqué « comme celui d’un Satyre », ce qui est un signe « d’entêtement dans la passion », selon la psychologie balzacienne.
Le regard gourmand que lui lance Valérie ne trompe personne et surtout pas Hulot qui le voit et sait qu’il n’y peut rien. Crevel ne remarque rien. Il n’a d’yeux que pour cette « femme jeune et jolie » et si décolletée qu’elle pourrait « sortir par le haut de sa robe en costume d’Eve. »
Balzac nous éclaire sur ce futur nouveau couple : le Brésilien est un faux lion tandis que Valérie est une vraie courtisane. Montès veut être éclairé sur l’extraordinaire changement survenu dans la vie de sa maîtresse : tout ce luxe d’où vient-il ? Et ces hommes qui ont l’air d’avoir des droits sur elle ? Valérie reporte l’explication en rassurant le comte à propos de son mari. Il ne la touche plus depuis longtemps, « même pas un baiser depuis cinq ans. » Elle lui apprend surtout qu’il est condamné et qu’il ne lui reste plus longtemps à vivre. Cette habileté à se sortir de ce mauvais pas émerveille Bette qui l’appelle son « cher petit démon. »
Hulot comprend le danger que représente pour lui le retour du Brésilien. Il mène une brève enquête auprès de la portière qui, tout acquise à Valérie, lui ment et le met sur une fausse piste. Balzac souligne l’erreur du baron. Les femmes étant solidaires - il aurait dû questionner le portier.
Revenant à Marneffe et à « l’insondable immoralité des hommes pour qui les femmes n’existent plus », Balzac nous dit qu’il se drogue et que son Eve (lapsus balzacien pour désigner Valérie?) lui coûte cher. Hulot qui lui a promis une place de chef de bureau dans son ministère et la Légion d’Honneur n’arrive pas à les lui obtenir. Marneffe s’impatiente, devient menaçant. « On dirait que vous voulez tuer mon mari. Dépêchez-vous au moins » dit-elle au baron. Cette phrase à double sens ravit Crevel qui l’entend, assis à la table de jeu où il perd consciencieusement au profit du maître de maison (les jeux publics ont été interdits en 1841 à Paris.)
Valérie profite de cette soirée pour faire le point avec Crevel. « Vous vouliez m’acheter. J’avais faim. J’ai consenti. » S’il veut qu’elle reste avec lui, il ne doit rien demander de plus. Il devrait être satisfait car il a pris sa vengeance sur Hulot puisque nous apprenons qu’elle se rend dans sa garçonnière, deux fois par semaine. A force de patience, l’ancien négociant Crevel, considéré comme froid et calculateur, a pu finalement l’emporter sur le brillant Hulot qui s’est ruiné et a ruiné sa famille.
Valérie, excédée par l'excessive jalousie du baron le chasse de chez elle, se débarrasse de  Crevel et passe la nuit avec son Brésilien, « car jamais une femme ne manque l’occasion d’un Montès arrivant du Brésil » dit-elle à Bette chez qui, comme au théâtre, Montès s’était caché.
Les deux vieux amants éconduits se retrouvent rue du Dauphin, lieu des amours secrètes de Crevel et de Valérie. Consternation de Hulot devant son infortune et le luxe discret de l’appartement. Une lettre laissée par Valérie sur le secrétaire nous apprend qu’elle fume des cigarettes et qu’elle couche avec Crevel depuis octobre 1838.
Crevel, au comble de l’admiration : « Quelle femme ! Elle me remue comme une colique. » Et se rappelant ses voluptueux après-midi avec elle : « Mais quelles perfections inconnues ! » Balzac nous laissent imaginer les lascives prouesses de cette vestale parisienne.
Le bourgeois savoure enfin sa vengeance sur le beau militaire qui lui volait ses conquêtes. Crevel, inattendument, cite Les liaisons dangereuses du marquis de Sade et Hulot se demande pourquoi « sur dix belles femmes il y en a au moins sept de perverties. »
Cette nuit est celle de la raison retrouvée. Les deux camarades de débauche parlent de l’amour, de leur âge, des fatigues, de la jeunesse. Crevel est logique, conscient de la réalité de son âge alors que Hulot demeure toujours accroché à ses idées de séducteur qui a oublié ses cheveux blancs. « La femme est un être inexplicable » dit Hulot. « Je l’explique, rétorque Crevel. Nous sommes vieux, le Brésilien est jeune et beau. » Il énonce la dure loi de la nature. Le monde a changé. Les femmes font aussi bien l’amour que des affaires.
Mme Marneffe s’est constitué une rente de 10000 francs grâce à ses placements dans les Chemins de fer, en plus de ce qu’elle a soutiré à Crevel un fameux après midi où elle s’était surpassée dans le petit appartement de la rue du Dauphin. « Quelle vie honnête peut rapporter ça » disait-elle radieuse à Bette.

Steinbock détourné de sa femme
Le couple Steinbock a eu un fils, Wenceslas. L’artiste qui ne créait rien de transcendant est attaqué par la presse. En grand seigneur, protégé par Hortense, il ne sait rien. Et vit comme s’il avait du succès. Cela dure trois ans. Propos sur l’art et les artistes.
Steinbock est paresseux, nonchalant, rêveur, « inconstant comme tous les Slaves. » Installé dans un confort endormissant, saturé « de plaisirs faciles », il ne produit pas, ou peu. « Les caresses d’une femme font évanouir la muse et fléchir la féroce, la brutale fermeté du travailleur. »
Pour l’auteur qui continue sa réflexion sur les mécanismes de la création artistique, le plâtre est le manuscrit, le marbre est le livre : « tout peut changer de l’un à l’autre. » Il évoque par cette remarque l’écart existant entre l’intention et la réalisation, l’idée et la chose faite.
La civilisation, ou l’art en général, est « impossible sans le frottement des idées et des intérêts. » Steinbock coupé de la réalité n’a pas prise sur elle. Il est trop aimé, sa part créatrice est comme anesthésiée. Balzac pense « que les artistes ne devraient jamais se marier » s’ils veulent bâtir une œuvre.
Emmené par son beau père à une soirée chez Valérie, Steinbock à « la beauté distinguée », front d’artiste et crinière soignée, tombe immédiatement amoureux d’elle. Jeu de séduction de l’hôtesse qui le reçoit tout charmes dehors et qui a eu l’idée de teindre ses cheveux en « blond cendré » pour ne pas rappeler ceux « d’un blond ardent » d’Hortense, la femme de Wenceslas. Belle, attirante, excitante, troublante elle ressemble « à ces beaux fruits qui donnent des démangeaisons à l’acier du couteau. »
Valérie donne de Samson et Dalila une explication qu’elle tire de sa propre expérience. Pour elle, Samson c’est le cadavre de la force et Dalila symbolise la passion qui ruine. Dans le feu de la discussion une commande est faite par Crevel à Steinbock pour sculpter un petit groupe de bronze représentant Dalila coupant les cheveux à Samson. Sa réalisation semble difficile dit l’un des convives, « à cause du lit. » « C’est excessivement facile, au contraire » réplique Valérie en regardant Steinbock en femme qui s’offre et lui propose de poser pour lui. Rendez-vous est pris pour le lendemain matin, au moment où elle est toujours seule chez elle. D’évidence, elle a hâte de lui faire découvrir « ses spécialités de tendresses qui la rendaient indispensable à Crevel aussi bien qu’au baron. »

Samson et Dalila - Rubens
La discussion roule ensuite sur Judith. Valérie, en verve et sûre d’avoir été comprise par l’artiste fait remarquer à l’assistance que la Vertu, comme Judith, coupe la tête
alors « que le Vice, comme Dalila, ne vous coupe que les cheveux. »
Wenceslas rendu fou d’amour par Valérie se dit : « elle vaut la gloire, elle vaut le malheur. » Il pense qu’en Mme Marneffe il trouvera l’amour inspirant qui lui manque.
Comme prévu, il devient son amant. Hortense mortifiée se confie à sa mère qui lui répond par des mots, creux pour elle qui souffre, sur la bonté, l’honneur, l’amour, la vertu, la famille, la sacrifice, la résignation, le silence, le courage, le pardon. En fait Adeline résume à sa fille sa propre vie (qui ressemble étonnement à celle de la provinciale Mme Grandet) et la manière dont elle l’a conduite. Adeline conclut son abdication par cette phrase : « les femmes veulent être fières de la domination qu’elles acceptent », comme « les Russes pour leur Tsar. »
Wenceslas reste indifférent aux bouderies de sa femme  qui pense le ramener à elle de cette façon alors qu’il ne pense qu’à Valérie. « Les hommes à bonne fortune sont des espèces de courtisanes hommes » nous dit Balzac, ils sont volages, ingrats et inconséquents. Il ajoute : « Rien n’irrite les gens mariés autant que de rencontrer, à tout propos, leur femme entre eux et un désir, même passager. »
Le ménage à quatre va durer plusieurs mois : Hulot, Crevel, Montès et Wenceslas se partagent les faveurs de Valérie ; le mari, nous le savons, ne comptant pour rien. Le saint-simonisme, que Balzac n’appréciait pas, est ici détourné profit de la femme : c’est en effet elle qui pense, agit et décide : les hommes ne faisant que subir sa volonté.
Valérie annonce un jour qu’elle est enceinte et fait croire à chacun de ses amants qu’il est le pèreVanité chez les vieillards, Crevel en particulier, heureux que ses capacités de procréation ne soient pas altérées par son âge.
A table, Marneffe voit en se comptant, les cinq pères de l’Eglise et Balzac, repensant à Choderlos de Laclos, compare Valérie Marneffe à une Madame de Merteuil bourgeoise, mais en plus redoutable et plus intéressée. Là aussi, nous dit-il, les temps comme les mentalités, ont changé : l’intérêt matériel régit dorénavant comportements et sentiments humains dans ce monde où l’action produite sans idée de profit est un non sens social.

Hulot retourne chez sa femme
Ne pouvant plus se passer de Valérie, Crevel lui offre son nom et sa fortune et lui demande de l’épouser. Celle-ci, pour se débarrasser enfin du baron que sa supposée paternité a ragaillardi, va le piéger en l’invitant à passer la nuit avec elle dans la garçonnière de la rue du Dauphin. Il s’y rend. Au petit matin, alors que Valérie dort nue à ses côtés, le commissaire, le juge et le mari, poussant la porte qui a été ouverte, constatent l’adultère. « Je sais qui vous êtes et qui est la délinquante » déclare le juge, « bon enfant et bon vivant.» Il prévient Hulot. Valérie est complice : dans ce type d’affaire, précise-t-il, « deux fois sur dix, le mari et la femme sont d’accord. » Hulot, s’il veut
sauver le peu qui lui reste, doit absolument s’éloigner d’elle. Le baron, comprend, acquiesce et remercie.
Revenu chez lui, rue Plumet, le baron doit « montrer un visage menteur à ses enfants » alors « qu’il s’ennuie, se moinifie, se momifie. »
Valérie qui l’a renvoyé de si cruelle manière l’a, pense-t-elle,  « rendu vertueux à perpétuité. » Elle se trompe bien entendu. Comme elle, Hulot est un cas, un Type : il ira jusqu’au bout  de son destin, quel que soit le prix à payer.
Le scandale d’Alger survient à ce moment. Les malversations sont découvertes, les complices arrêtés, les preuves de la compromission du  baron envoyées à Paris. L’oncle d’Adeline, entraîné par Hulot dans ce vol, "s’est poinardé dans sa prison avec un clou." Hulot, acculé par son ministre, refuse de se suicider.
C’est alors qu’Adeline a l’idée de se donner à Crevel pour 200000 mille francs, montant du vol commis par son mari à l’administration. Balzac nous dit qu’il est impossible de la gruger tant la bureaucratie est tatillonne : chaque centime est comptabilisé. Le moindre faux en écriture est un jour ou l’autre démasqué. L’administration française est une pieuvre à vie.
Comment se préparer à la faute se demande Adeline. Comment faire pour séduire ? Comment font les Marneffe ? Elle ne sait pas. Elle s’arrange autant qu’il est possible devant son miroir et prie Crevel de venir la voir par un mot qu’elle lui envoie. « Une bonne action mal faite est un demi crime » avertit  l’auteur.
La scène qui ouvre le roman est reprise. Mais dans celle-ci, la baronne est prête à jouer le rôle de la courtisane. Mais sans la science qui sait masquer les peurs.
Adeline a trois de plus qu ‘au début : elle est, selon Valérie qui la déteste sans raison « une femme tannée, fanée, panée. »
« Le cœur tiré à quatre chevaux », honteuse et profondément humiliée, Adeline « se jette à l’eau » et s’offre à Crevel, qui d’abord ne saisit pas. Lorsque enfin il comprend le geste d’Adeline, il lui suggère le nom de son disciple, Beauvisage, l’homme politique de province, qui recherche justement une femme comme elle. Adeline, prise de stupeur, ressent les premières attaques nerveuses qui ne la quitteront plus. Elle se met à trembler horriblement. Enfin touché par la détresse de cette femme, Crevel lui promet la somme qu’elle demande.
Il en parle à Valérie. Furieuse celle-ci se moque de la vertueuse Adeline. « N’est pas dans le vice qui veut » dit-elle.  « Vingt cinq ans de vertu, ça repousse, ça sent le moisi. » Tout en parlant, elle laisse entrevoir sa nudité à « travers le brouillard de la batiste » qui la recouvre incomplètement. Elle « déchausse Crevel de sa cervelle jusqu’au talon. » Continuant à se moquer elle fait remarquer à Crevel qu’elle ne fait pas métier de sa religion et qu’elle se cache pour aller à l’église.
Elle réussit à détourner l’argent que Crevel, dans un élan de pitié, avait promis à Adeline. Balzac remarque qu’un blond démon de 28 ans qui laisse voir une affriolante nudité blanche à travers une chemise transparente est plus séduisant qu’une sainte de cinquante ans qui a la tremblote et pleure.

Hulot déserte la rue Plumet
Hulot prépare sa fuite. Malgré les supplications de sa femme, malgré son « je suis ta chose, apprends-moi à être comme ces femmes que tu recherches » le baron, endetté et poursuivi par ses créanciers, songe à s’installer secrètement en Normandie.
Pour cela il demande l’aide de son ancienne maîtresse Josépha, l’amante en titre du duc d’Hérouville qui l’a installée, on s’en souvient, dans un luxueux hôtel.
Josépha impressionnée par l’ineffable folie de Hulot le reçoit et le convainc de rester à Paris sous une fausse identité. Elle sait l’état dans lequel le baron a laissé sa famille : « C’est un brûlage général » lui dit-elle, « c’est Sardanapale. C’est grand. C’est complet. »
« Tu es un homme à passion : Crevel, lui est un homme froid, il calcule trop. » Peu importe à l’actrice que Hulot n’ait apporté à ses proches que ruine et mort. Josépha, la courtisane, se révèle plus artiste et anticonformiste que la matérialiste et bourgeoise Valérie qui spécule sur les Chemins de fer. Balzac ne peut ici taire son ressentiment sur cet épisode de l’industrie naissante. Il nous dit que les actions sur le rail « apportent de l’or aux banquiers et du fer pour les gogos. » On sait que lui-même détenait un certain nombre d’actions de ce type.
Josépha offre à Hulot la perspective d’une autre vie. Elle connaît une petite brodeuse qui serait heureuse de se mettre avec lui : elle gagne si peu qu’elle « mange des pommes de terre, comme les irlandais, frites dans de la graisse de rat, du pain cinq fois par semaine, boit de l’eau de l’Ourcq car celle de la Seine est trop chère. » Elle a 16 ou 14 ans, peu importe, et s’appelle Bijou.  Elle est prête à se marier « au 13ème arrondissement » avec celui qui, pour prix de sa tendresse, fournira à sa mère « des bons de pain, de viande et de bois. » Le vieil homme est tout désigné, lui « qui vaut un jeune homme. » Josépha qui connaît son Hulot l’informe qu’Olympe « c’est garanti neuf. » « Bien entretenue et bien surveillée » elle restera trois ou quatre ans avec lui. « C’est assez pour toi » lui dit-elle.
Josépha lui demande de choisir. Qu’il opte pour la Vertu et elle lui procurera une place sur les terres du duc en Normandie. S’il décide de continuer dans la voie du Vice il aura la primeur d’Olympe. « La vie est un vêtement, quand il est sale on le lave, quand il est troué on le raccommode mais on reste vêtu tant qu’on peut. » dit-elle au baron. Et termine : « tu es en homme ce que je suis en femme : un génie gouapeur. La vertu est faite pour les épiciers, les citoyens fraaaançais ! »
Hulot en présence de la petite brodeuse, « un de ces vivants chefs-d’œuvre de Paris », est émerveillé par cette beauté de seize ans. Il « sent toute sa vie échapper par ses yeux » et couler sur les formes juvéniles dressées devant lui. Sans hésiter il accepte le merveilleux présent de son ancienne maîtresse.
Hulot s’installe avec Olympe rue Saint Maur sous le nom de Thoul et s’occupe d’un atelier de broderie – le premier métier de la jeune fille
.

Troisième partie

Dénouement à la Balzac
Début mars 1843, Valérie accouche d’un enfant mort né. Marneffe meurt. Mariage projeté entre Valérie et Crevel. Bette est aux anges : elle tient sa vengeance. Wenceslas est séparé d’Hortense. Il vit pratiquement chez Valérie qui est tombée amoureuse de lui.
Le gouvernement reconnaît les compétences de Victorin Hulot et l’emploie selon ses capacités.
Entrée en scène de Mme de Saint Estève (Madame Nourrisson, la « tante » de Vautrin) qui propose ses services pour éliminer Valérie et Crevel.
Adeline Hulot devient inspectrice de bienfaisance et sillonne les quartiers pauvres de Paris. Elle se rend chez Josépha pour lui demander de l’aide afin de retrouver son mari.
Souper fin et très arrosé au Rocher de Cancale où 42 bouteilles de vin sont bues en deux heures par quatorze personnes, les femmes - Josépha, Jenny Cadine, Cydalise…- n’étant pas en reste. Les bracelets de perles de Josépha : « Vous avez dévalisé la mer, Monsieur le duc ? » demande-t-on en riant à Hérouville. Montès, que l’on a réussi à rendre fou de jalousie, se venge en empoisonnant le couple Crevel nouvellement marié.
Agonie longue et affreuse des deux époux dans l’odeur infecte de leurs corps qui se décomposie. Valérie, au bord de la mort, glisse dans un pauvre dernier sourire à Bette qui vient la voir: « Je vais faire le bon Dieu. »
Célestine Crevel, épouse de Victorin Hulot, hérite de la fortune de son père.
Adeline s’occupe dans les quartiers ouvriers des ménages indigents qui ne peuvent se marier faute d’argent.
La tuberculose emporte Bette, la haine accrochée au coeur.
Wenceslas aime de nouveau Hortense, la femme délaissée.
Hulot retrouvé sous le nom de Vyder, « écrivain public établi du Passage du Soleil », populeux quartier  situé au bas de la rue Saint Lazare.
Retour à la maison. Il parait guéri de ses pulsions. Le bonheur revient et s’attarde deux ans dans la famille de nouveau réunie.
Mais repris par ses démons, le baron séduit en décembre 1845 la nouvelle cuisinière, Agathe Picquetard, grasse et vulgaire personne dont « la figure rougeaude (paraissait) avoir été taillée dans du caillou. »
Adeline, exténuée, meurt de cette dernière humiliation. Balzac écrit : «Et l’on vit, ce qui doit être rare, des larmes sortir des yeux d’une morte. »
Onze mois plus tard, en février 1846 à Isigny, Hulot épouse la cuisinière qui devient baronne. Victorin Hulot a ce mot qui termine l’histoire : « Les ancêtres peuvent s’opposer au mariage de leurs enfants, mais leurs enfants ne peuvent pas empêcher les folies des ancêtres en enfance. »

 

Agathe Picquetard épousée par le Baron Hulot après la mort de sa femme. Elle a 20 ans, il en a 80. Dessin de Huard

Agathe Picquetard épousée par le Baron Hulot après la mort de sa femme. Elle a 20 ans, il en a 80. Dessin de Huard

Le roman de la vie amoureuse de Balzac

Lecture biographique de La Cousine Bette

Un jour Balzac confie à Delphine de Girardin: « J’écris pour elle, je veux la gloire pour elle. Elle est tout, le public : l’avenir. » Elle, c'est évidemment Eve Hanska.
En 1846 Balzac ne comprend pas pourquoi Eve Hanska s’oppose toujours avec tant de fermeté à leur mariage. De retour d’Italie où il a passé plusieurs semaines il se réfugie dans sa chère Touraine, sa région de naissance. De là il repart en Allemagne parce que Eve y est. Elle se dérobe encore, dit qu’elle ne souhaite pas se lier officiellement, elle hésite, veut et ne veut plus, reporte à plus tard. Balzac harassé, le corps usé par le long enfantement de La Comédie humaine, ses nuits blanches stimulées par le fameux café qui lui a percé l’estomac et par ses espoirs déçus résiste, insiste, supplie. Il aime et il désire. Son idée fixe : épouser la riche et belle comtesse Eve Hanska. Ce désir devient le but suprême de sa vie. Il pense l’atteindre par la seule voie qu’il connaisse, le travail, l’écriture, la mise en mots de son univers.
En juin de cette année là, en plein été de sa vie, croit-il, alors que nous savons qu’il ne lui reste que quatre ans à vivre, il pense avoir enfin gagné. Eve lui annonce qu’elle est enceinte. Balzac au faîte du bonheur décide que ce sera un fils. Un beau garçon déjà prénommé : Victor-Honoré. Hommage au poète Victor Hugo et à lui-même, l’impatient amoureux en attente de paternité. Il s’imagine peut-être en Goriot, le fou d’amour pour ses filles ou le malgré tout bon Matifat (La Maison Nucingen) qui ne pouvait se résoudre à vouvoyer ses nièces et qui leur disait en guise de bonsoir : « Vas te coucher, mes nièces … »
Tendresses déviées, attachements intéressés, silences sinistres, rejet, refus. Il est vrai que les pères sont souvent reniés ou bafoués ou, pire, absents dans la Comédie humaine - qui semble le rattraper et lui imposer l’histoire de ses personnages.
La joie sera brève, la mauvaise nouvelle lui parvient en décembre. Eve a fait une fausse couche. L’espoir d’enfant est anéanti. La femme aimée revient à lui, meurtrie et désespérée de l’amour qu’elle ne peut rendre, qu’elle ne partage sans doute plus mais qu’elle ne rompt pas par habitude ou par superstition.
Comment quitter un homme qui lui a dédié cette œuvre monumentale qu’est La Comédie humaine. C’est elle la raison de tout ce travail : de la Physiologie du mariage (1829) à Splendeurs et misères des courtisanes (1837-1848).
Annihilée, la paternité - Balzac ne sera, ne pourra plus jamais être père. Est-ce pour cette raison qu’il fait dire à Valérie Marneffe dans La Cousine Bette qu’elle attend un enfant et qu’il décrit le contentement satisfait, émerveillé ou inquiet des quatre géniteurs putatifs. Deux jeunes amants dans la force de l’âge, le Brésilien Montès « aux yeux de jaguar » et « au front de satyre » et le lymphatique Polonais Wenceslas face aux deux vieillards qui paraissent sortir du Livre de Daniel, Hulot, le vieux beau ruiné et Crevel, l’ancien négociant, « un cube de chair » très riche.
Son don de double vue l’autorise à faire mourir cette espérance. Valérie avorte avant qu’Eve n’accouche d’un enfant mort né. Prémonition ? On a remarqué qu’à plusieurs reprises Crevel, dans ses moments d’excitations et d’amour satisfait, appelle sa duchesse Valérie Eve. S’agit-il d’un lapsus calimi ? Peu importe car cela signifie tout simplement pour nous qu’Eve Hanska est constamment présente dans l’élaboration du texte et que beaucoup d’elle se transporte dans la fabrication des personnes de femmes belles et désirables des Scènes de la vie parisienne.
Retardé, le mariage. Une nouvelle fois.
Surmontant sa peine, le désir de tout faire (qui veut, peut) le reprend. Une tension extraordinaire qui le pousse, devenu lui-même personnage balzacien dans la jungle de ses personnages à idée fixe, à arracher avec ses dents incertaines la victoire contre l’adversité. Pour Balzac, l’adversaire c’est, inrenouvelable, le temps qui passe, la fatigue, l’usure. Ici Balzac pourrait être comparé à son double fictionnel, Raphaël de Valentin, héros condamné de La Peau de chagrin (1831), l’un de ses premiers romans et de ses premiers succès. L’auteur y dépeint un personnage mourrant de ses désirs réalisés.
Eve voit le grand amour de sa vie se défaire physiquement de son corps - et si le nom de Balzac brille, jusque chez elle à Moscou, de plus en plus vivement au fronton du Panthéon littéraire, la chair de l’homme s’abîme, se boursoufle, se liquéfie, exténuée par le monde qu’il a mis vingt ans à faire naître.
A Paris Balzac lutte donc. La rue proteste et gronde en cette année de tous les dangers pour le pouvoir (L’Education sentimentale, 1869, de Flaubert décrit bien cette atmosphère de fin de règne), le mécontentement populaire est visible, palpable, explosif. Balzac ne s’en soucie pas, il est en proie à une boulimie d’achats qui le mène dans les boutiques de luxe et chez les marchands d’art.
Il a acquis, contre l’avis de la comtesse, une maison – la dernière de sa vie -  rue Fortunée qu’en s’endettant il meuble et décore princièrement en pensant à sa future femme, le centre et le cœur de son ambition. Il s’applique la devise des grandes familles de la Comédie humaine : le superflu est l’ordinaire de l’homme supérieur. A la fin du siècle Oscar Wilde souscrira à cette idée.
Pour payer ses dépenses, il s’engage auprès de ses éditeurs et des directeurs de journaux et promet des titres nouveaux, de nouveaux romans, de nouveaux chapitres. Afin de procurer à sa lointaine comtesse un lieu aussi raffiné que ses fabuleux domaines en Pologne ou en Russie il est prêt à vivre deux vies, quitte à consumer la sienne deux fois plus vite. Nous retrouvons le Balzac de l’extrême préférant l’incandescence d’une passion, forcément brève, d’une Louise de Chaulieu à la morne et longue tranquillité d’une existence réglée au millimètre d’une Renée de Maucombe (Mémoires de deux jeunes mariées, 1841).
Balzac ne peut évidemment pas lutter contre les siècles de richesses et de culture aristocratique des Hanski. Cet entêtement sisyphien, ce souffle épuisé mais toujours fécond, ce combat inégal qui ne peut s’achever que par la mort, plait et intrigue peut être son Etrangère de maîtresse et séduit sûrement son goût polonais du risque.
Au fond de lui, malgré l’hostilité de la famille Hanska, la tante surtout à qui il prêtera des traits à la cousine Bette, il sait que Eve est flattée d’être aimée par un homme tel que lui - fulgurant par son esprit inventif,  maladroit dans la conduite de ses affaires mais si constant dans la construction de son œuvre gigantesque.
A la fin des années 1840 tous admettent, dans la Presse et chez les hommes de Lettres (hormis Sainte-Beuve, hypocritement critique) que Balzac est le plus grand romancier français du siècle.
Pour qu’Eve cède enfin et consente à s’unir à lui par les liens sacrés du mariage il va lui offrir Les Parents pauvres, Pierrette et terminer Splendeur et misères des courtisanes. Il s’attèle à la tâche dès le mois de juin, quand il apprend la possibilité de paternité. Un effort fabuleux s’entreprend où Balzac met toute son énergie d’homme à réaliser ce qui devient chez lui une obligation. Et par mimétisme inconscient il nourrit en lui, comme Eve nourrit en elle l’enfant espéré, l’œuvre programmée pour accompagner les premiers cris de Victor-Honoré.
Balzac dans son regard sur la société poursuit son inventaire des types et caractères humains extrêmes et continue d’administrer dans La Comédie humaine de nouveaux thèmes, ou plutôt, pour être juste, il en approfondit certains. Il pense au personnage de Lisbeth Fischer, la cousine délaissée à peine visible dans l’ombre de l’étouffante famille Hulot. Son statut humiliant de parent assisté fera revivre un fantastique sentiment de haine à l’égard de ses bienfaiteurs au sein desquels elle taillera, avec l’aide de Valérie Marneffe, « à coups de hache » pour assouvir une vengeance qui couvait en elle depuis l’enfance. Et comme s’il parlait de lui il invente dans la foulée le cousin Pons, l’autre parent pauvre, ce personnage anachronique, distrait et gourmand - mais tenant « à son amour propre comme un auteur » - qui collectionne les objets et accumule au fil du temps un trésor.
Ces deux laissés pour compte, l’impitoyable Bette et le naïf cousin Pons, vont produire deux extraordinaires romans de Balzac. Les derniers d’une telle ampleur, d’une telle force rageuse qui gifle la vie qui ne veut plus de l’écrivain. Nacquart son médecin ne peut rien : il n’est pas Bianchon, le fin médecin de la Comédie humaine qui lui-même ne put rien pour Goriot agonisant.
Balzac s’attèle donc en cet été 1846 à l’écriture des Parents pauvres qu’il présente au prince de Téano comme « un petit fragment d’une longue histoire. »
Anxieux, fiévreux, prodigieux. Il semble que son génie créatif, poussé par une volonté de fer – celle de ses héros emblématiques ou celle qui habitait, dit-on, Napoléon, le modèle absolu si souvent évoqué - se démarque de son physique en souffrance. Une étrange dichotomie s’opère à ce moment là : on a l’impression que Balzac se dédouble, l’écrivain se dissociant de l’homme. Le premier paraissant indifférent ou insensible au mal qui ronge le second.
Tout en s’occupant de l’aménagement de la maison de la rue Fortunée où doit bientôt venir vivre sa femme, il rédige vite comme à son habitude, dans le manque de cet amour qui l’accompagne depuis si longtemps.
Les pages s’accumulent et forment un récit qui s’éloigne de son plan initial. Balzac part comme souvent d’une idée, en l’occurrence la compréhensible révolte d’un personnage, une vieille fille, qui ne veut plus de la compassion de ses proches. Qui en a assez de recevoir depuis trente ans les restes qu’on lui donne : vêtements, nourriture, condescendance et qui verse, à un moment donné, dans une haine effroyable et un irrépressible désir de vengeance.
De ce noyau, ligne directrice générale de la nouvelle, Balzac laisse l’histoire se développer, accepte des ramifications qui sont dans la logique du récit, qui le structurent et l’introduisent naturellement dans la fresque sociale entamée par Balzac en 1835 et constituée de l’ensemble des œuvres reliées les une aux autres par le système des personnages reparaissants. Il n’oublie pas de se définir comme « simple docteur en médecine sociale, le vétérinaire des maux incurables… »
La Cousine Bette peut se lire par exemple comme une suite de César Birotteau du fait de la présence d’un personnage comme Crevel, le riche et heureux successeur du parfumeur ruiné. Mais une suite désespérée, dramatiquement immorale et tout à fait vraisemblable. Le royaliste Birotteau a été terrassé sous la restauration par la bourgeoisie. La réussite de Célestin Crevel s’explique, elle, parce qu’il a compris quels étaient les véritables vainqueurs de 1830. Il agit et pense en conformité de son temps : celui où le négoce, l’argent et la politique marchent de conserve. Développant son point de départ, Balzac étoffe l’entourage de Bette et accentue la haine mortelle que cette femme laide éprouve pour sa trop belle et trop aimée cousine Adeline devenue avec la démonétisation conjugale comme « un Corrège dans un grenier » ; pour le mari, le sémillant sexagénaire baron Hulot et leur fille, Hortense, aussi parfaite que sa mère, mais en plus rouée car, dit-elle, elle est fille de son père.
Puis Balzac s’éloigne de Bette, élargit le cercle (ou le point de vue, grâce à son œil caméra) et nous montre la vie secrète de la famille où elle est reçue.
Le couple Hulot, Adeline, Balzac insiste, « belle comme un coucher de soleil », amoureuse encore de son mari et qui, comme une Pénélope esclave et silencieuse, refuse de voir qu’il la trompe depuis vingt ans. Le beau baron en effet « s’est mis au service des femmes », en masquant son âge, la soixantaine, sous les artifices du maquillage et des ceintures de caoutchouc. Il entretient des maîtresses gourmandes d’argent aux dépends de sa maison qui est au bord de la ruine.
Hortense, leur fille, en panne de mari car sans dot, mélancolique ou agitée selon les demandes de son jeune corps.
Victorin Hulot, le fils, a été marié à une riche héritière, Célestine Crevel dont nous connaissons le père.
Balzac regarde à côté parmi les alliés par nécessité de cette famille et nous présente Célestin Crevel, l’embourgeoisé commerçant dont la fortune fait oublier ses écarts de tenue, ses écarts de langage, ses écarts de probité – d’autant qu’il s’est naturellement lancé dans la politique, l’époque l’encourageant : il est maire d’arrondissement. Balzac ne peut s’empêcher de nous indiquer leur ressemblance : l’âge, le physique, le goût de l’argent et des femmes. Mais il le charge de vulgarité et de sottise : prototype de la bourgeoisie louis-philipparde son bon sens tient lieu d’intelligence. Mais Crevel se rebiffe, traité en bête il répond en homme.
Balzac oppose à Crevel le comte Wenceslas Steinbock, jeune exilé polonais, fragile et beau,  un artiste doué qui a besoin d’aide et de beaucoup de  volonté.
L’entourage est aussi composé par Valérie Marneffe, la sulfureuse voisine de Bette, une bombe sexuelle affamée de reconnaissance et arme de destruction familiale ; l’ignoble mari, maquereau décomplexé et pourri de vices innommables qui échange sa sublime et consentante femme contre une promotion administrative, puis de l’argent (on le laisse gagner au jeu, chez lui) puis des honneurs ; le baron Montès, l’oublié amant de cœur de Valérie Marneffe et qui revient du Brésil, « après trente jours de traversée », troubler le jeu truqué du couple.
Une place particulière est réservée au  maréchal Hulot, Pair de France en 1838 quand commence l’histoire, l’innocence greffée sur une conscience dure d’oreille, revenu des Chouans (1829) et qui meurt déshonoré, et comme hébété, par un frère érotomane, amateur de gamines issues du peuple et un parent d’Adeline Hulot, Johan Fischer, accusé de faux après avoir volé l’intendance de l’armée en guerre dans l’Oranie et qui se brûle la cervelle pour innocenter celui qu’il considère comme son bienfaiteur. Ici encore l’actualité contemporaine de Balzac, pointant  ses scandales suscités par l’occupation de l’Algérie. Il dénonce, sans le dire, la concussion et les vols organisés au détriment de l’Etat et que symbolise la lutte qui oppose à Paris les militaires aux civils, « les hommes en noir. »
Il est d’usage, lorsqu’il s’agit d’analyser une œuvre de Balzac de regarder les éléments de la réalité transposés dans la fiction.Ainsi il paraît certain que le motif matriciel de la Cousine Bette est un fait divers jugé en cours d’assises en 1845, dont l’actrice principale était tenu par la nièce du maréchal Soult. Pour subvenir aux besoins d’un amant beaucoup plus jeune qu’elle elle se donnait contre rétribution à des vieillards. Mme Colomès, du nom de son mari, ingénieur siégeant à la chambre des députés, se retrouve dans le roman sous l’apparence à la fois de Lisbeth dans son mépris de la famille, de Valérie Marneffe par sa manière de savoir tirer partie de sa beauté et d’Hortense Hulot, par l’amour réel qu’elle porte au jeune Wenceslas Steinbock, l’artiste inconséquent.
Bette hérite quant à elle de certains aspects de Laure, la mère de l’auteur (notamment tout ce qui tourne autour de l’argent) avec laquelle, on le sait, il ne s’entend pas mais le personnage de la sèche cousine tient aussi de la tante d’Eve Hanska, la plus farouche opposante à son mariage avec la comtesse.
On peut voir aussi la parenté entre le nom Hulot et Hugo. Le fils Hulot se prénomme Victorin, le nom de jeune fille de l’épouse du baron est Adeline Fischer (Adèle Foucher pour Mme Hugo). En 1845 Hugo est surpris avec Léonie Biard dans une chambre d’hôtel « en conversation criminelle », comme le sera Hulot  avec Valérie à la fin de la seconde partie du roman.
La Cousine Bette est achevé en octobre 1846. Il paraît en feuilleton du 8 octobre au 3 décembre 1846 dans le Constitutionnel. L’année suivante il paraît en volume avec Le Cousin Pons d’abord intitulé les Deux musiciens. Ce dernier opus a été commencé dès l’achèvement de la Cousine
Le programme des deux textes est ainsi énoncé : « Le Vieux musicien est le parent pauvre accablé d’injures, plein de cœur. La Cousine Bette est la parente pauvre accablée d’injures, vivant dans l’intérieur de trois ou quatre familles, et prenant vengeance de toutes ses douleurs. »
Balzac écrit au Prince italien spécialiste de Dante et dédicataire de l’oeuvre : « Ces deux esquisses que je vous dédie constituent les deux éternelles faces d’un même fait… Tout est double, même la vertu.  » Il précise : « Mes deux nouvelles sont donc mises en pendant, comme deux jumeaux de sexe différent. » Balzac dans son œuvre tente de  « représenter toutes les formes qui servent de vêtement à la pensée. »
Les dernières œuvres de Balzac, particulièrement celle-ci, fourmillent d’allusions sur sa propre vie : elles sont données pour ainsi dire afin de prendre à témoin son lecteur et lui dire, au delà de sa pensée, les affres de l’artiste – toujours créer et de celles de l’homme – toujours attendre. Aussi déverse-t-il ses privations dans le personnage d’Hector Hulot, cet homme de désir jamais satisfait, toujours repartant pour de nouvelles conquêtes. A la sensualité exacerbée qu’il instaure auprès des femmes répondent les demandes aux réponses négatives de l’auteur.
Ce roman crépusculaire est aussi une symphonie érotique composée à l’intention d’Eve Hanska - tout ensemble la chair et l’âme, le plaisir et la vertu, l’ange et la bête : Valérie et Adeline, « les deux tomes d’un même volume. » L’odeur du luxe nimbe une grande partie de l’histoire et les noms de Josépha, Cydalise, Olympe, Jenny évoquent les parfums secrets de leurs chambres closes.

Le cousine Bette en quelques images

La cousine Bette - Oeuvres complètes, Illustrations de Charles Huard

La cousine Bette - Oeuvres complètes, Illustrations de Charles Huard

Après une feinte résistance Valérie Marneffe cède au Baron Hulot - dessin de Cain

Après une feinte résistance Valérie Marneffe cède au Baron Hulot - dessin de Cain

"Valérie Marneffe posait en Dalila" pour le beau Wenceslas Steinbock.

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Valérie Marneffe et le baron Hulot surpris au petit matin en pleine "conversation criminelle" par les représentants de la loi

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La cousine Bette - Valérie Marneffe au cinéma, 1998

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Articles de presse sur le film adapté de La Cousine Bette
Articles de presse sur le film adapté de La Cousine Bette

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Tag(s) : #Lire Balzac La Comédie humaine
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