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Jean Lecomte du Noüy (1824-1923), en élève appliqué de Charles Gleyre puis de Jean Léon Gérôme, poursuit dans la veine de ce dernier une exploration sans génie de l’orientalisme. Lecomte du Noüy, après quelques succès qui lui valurent des commandes de l’Etat, entreprend un long voyage qui le mène à partir de 1875 en Grèce, en Turquie et en Egypte d’où il reviendra avec quelques idées dont celle de L’esclave Blanche exposée au Salon de 1888.
Le tableau représente une scène de harem avec au premier plan un nu de femme qui occupe plus de la moitié de l’espace peint. Le fond de l’œuvre, sommaire comme un vieux décor de théâtre ou, plus justement, celui d’un studio de photographe, esquisse les arcs d’un palais silencieux. Ici, est-il dit, le rêve règne. Le temps semble arrêté fixant l’opulente odalisque dans ses songes. Elle exhale de sa bouche rouge aux lèvres dessinées en forme de cul de poule de légers et minces filets de fumée.
Sa nudité grasse et blanche ne l’encombre pas.Elle est vue de biais et pèse sur le sol de tout son poids de femme trop nourrie. Un étrange décalage du bassin nous découvre tout le bas de son dos un peu aplati qui s’oppose au relief arrondi de son ventre. Sa croupe épaisse qui lui sert d’assise et de pivot lui permet de se pencher légèrement en avant en s’appuyant sur son bras droit. La belle esclave tient entre les doigts boudinés de sa main gauche une longue cigarette. Sous l’effet sans doute des douces fantasmagories procurées par le haschisch, elle semble regarder, indifférente ou tout simplement hébétée, une scène non figurée dans le tableau placée dans un hors champ, ou dans un « en elle », que le peintre nous laisse libre d’imaginer.
L’image de l’Odalisque dans cette toile est traitée à la manière d’Ingres : même ampleur fessière, même sein masqué, mêmes distorsions anatomiques ou morphologiques. Ainsi le bras à la cigarette de la fumeuse semble détaché de son épaule : long, rond, sans coude et sans crédibilité, comme un rajout mal raccordé. L’auteur du Bain turc avait rencontré ce même problème.
La tête de l’esclave à l’œil grand ouvert surchargé de khôl, au nez sans caractère et au menton bientôt double est coiffée de telle sorte que son épaule droite, dégagée par le travail d’un peigne, devient parfaitement visible. Ses cheveux rabattus de l’autre côté s’épandent sur le bras gauche et, oubliant l’articulation de l’omoplate, semblent lui donner naissance. Une fleur dont la tige raide ressort un peu plus loin est piquée dans sa chevelure auburn. Le peintre a tracé sur sa joue, sans doute pour espagnoliser le profil de jeune mouton de son modèle, une touffe de cheveux qui rappelle l’accroche cœur des danseuses andalouses.
Les mets déposés près d’elle sur une nappe brodée aux plissures marquées semblent ne pas avoir été touchés –  peut-être juste goûtés. L’assiette de couscous (qui localise le lieu, Alger, où ce plat est ainsi préparé), le verre de vin – un vin sûrement sucré -, le bol ouvragé contenant des dattes avec leur branche et l’orange découpée, offrant la fleur ouverte de sa pulpe, sont placés dans le bas droit du tableau. Dans le prolongement de ce « buffet » on aperçoit deux domestiques noires en activité : l’une, accroupie au bord d’un bassin qui la reflète, s’affaire sans poésie à une tache indéfinissable tout en observant (surveillant ?) sa maîtresse-esclave, l’autre, dont on ne voit qu’une partie, transporte un panier de linge.
Ce tableau l’atteste : l’Orient n’existe plus. Les repères de l’âge d’or de la peinture orientaliste se confondent ici dans une sorte de représentation de pacotille où le trivial, l’incohérent, l’anachronique et le complaisant s’invitent.
A la fin du 19ème siècle l’Orient ne présente plus aucun mystère pour l’occident et son attrait esthétique s’est considérablement amoindri. Toutes les contrées de l’est méditerranéen ont été identifiées et répertoriées, les usages et les types de ses habitants décrits et analysés. Les voyageurs se sont tranformés en touristes et les odalisques en  Koutchouck Hanem. Cette évolution semble avoir échappé à Lecomte du Noüy qui ne pense pas à interroger sa pratique picturale comme le feront des novateurs tels Renoir et Matisse ou un peu plus tard Macke et Kandinsky.
La 3ème République, qui colonise abondamment, a besoin de prétextes pour justifier son entreprise. L’Esclave blanche, en stéréotypant le thème et le type orientaliste, pourrait être considéré comme l’un des arguments fourni, a posteriori, à la politique d’occupation des pays d’Orient.

Jean Lecomte du Noüy : L’esclave Blanche. 1888

Jean Lecomte du Noüy : L’esclave Blanche. 1888

Jean Lecomte du Noüy : L’esclave Blanche. 1888
Jean Lecomte du Noüy : L’esclave Blanche. 1888
Tag(s) : #Récits de voyage et peinture orientaliste
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