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Théodore Chassériau

Théodore Chassériau

Voyages et voyageurs dans L’Orient du 19ème siècle

Peinture et Littérature

 

L’Orient pose au 19ème siècle en Europe une double question dans le domaine de l’art. Question du regard.
Question de l’image. Débouchant sur la question de l’écriture : « On a tant de relations de Constantinople, que ce serait folie à moi de prétendre en parler » dit Chateaubriand pour justifier le parti pris introspectif et non descriptif de son récit Itinéraire de Paris à Jérusalem paru en 1811 mais effectué en 1806. Le genre Voyage en Orient est inventé par les romantiques avec, en 1835, Lamartine qui publie : Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un Voyage en Orient.
L’Orient, un Ailleurs aux frontières floues, confirmé par les dictionnaires de l’époque « rien de plus mal défini que la contrée à laquelle on applique ce nom (Dictionnaire universel du 19ème siècle dePierre Larousse), qui correspond au pourtour de la Méditerranée, exploré systématiquement au 19ème siècle. Larousse y repère déjà plus un produit fantasmatique qu’un objet réel. Dans les faits, il s’agit de la partie orientale de la Méditerranée, plus les pays composant l’Afrique du Nord.
En gros, l’Empire Ottoman. Un empire en déclin, des auteurs parleront d’un empire en décrépitude, ou pire, en pleine décomposition.
Inventaire débuté, à la suite du récit de Volney paru en 1782, par Bonaparte de 1798 à 1801. Inventaire hydrographique, climatique, botanique, zoologique, minéralogique, archéologique, sociologique, ethnique et politique. Il se poursuit tout au long du siècle. Des missions scientifiques ou diplomatiques comprenant des peintres sont constituées qui parcourent le monde oriental. Mais des images circulaient en Occident depuis au moins les roisades (1095-1270). Dès la Renaissance des liens commerciaux s’établissent entre Orient et Occident. En France, sous Colbert mais plus généralement sous le règne de Louis XIV, de nombreux contacts avec l’empire Ottoman sont noués.
Le terme même d’Orient est peu usité jusqu’au premier tiers du 19ème. C’est le mot Levant que l’on retrouve dans les écrits. Il recouvre un sens aussi bien politique que commercial.
Le voyage exige beaucoup de disponibilité, une aisance financière et des relations dans le monde de la diplomatie. Pour se rendre en Orient, dans ce temps là, il vaut mieux être riche et homme et avoir des lettres de recommandation. Les femmes, selon l’usage, ne peuvent voyager seules. Mme de Sévigné le dit clairement : une honnête femme « ne peut transporter ses os » en dehors des lieux inscrits dans son environnement immédiat. Lorsque Balzac s’échappe en ce « début d’Orient » qu’est l’Italie avec Caroline Marbouty, sa jeune maîtresse, celle-ci est contrainte de se déguiser en jeune page pour couper court à la  prévisible curiosité des gens rencontrés.
Volney voyage grâce à un confortable héritage, Chateaubriand consacre 50.000 francs pour atteindre Jérusalem et Lamartine dépense le double pour le fastueux voyage entrepris à bord d’un navire affrété spécialement pour sa famille et ses domestiques.
Le commun des voyageurs ne doit pas craindre les incertitudes de la traversée sur des navires mal équipés, la fatigue des longues étapes, les fièvres, les gîtes inconfortables, quand ils existent et l’hostilité, en dehors des villes, d’une population qui n’est pas toujours accueillante.
La marine à vapeur, plus tard, facilitera considérablement le voyage en offrant un relatif confort et une réelle rapidité. Des lignes régulières sont crées à partir des années 1840, de l’Europe vers l’Orient, mais aussi entre les pays composant cette région –  Turquie, Grèce, Egypte, Liban, Palestine - ainsi que sur le Nil, le fleuve mythique.
Avec la vapeur, le chemin de fer connaît, dès 1850, un essor plus que notable, en Turquie, en Egypte et en Syrie. A cette date, le train relie Alexandrie au Caire et en 1880, Le Caire à Assouan.
On peut aussi se rendre de l’Europe en Orient par le Danube, comme 150 ans plus tôt, Lady Montagu qui part rejoindre par cette voie longue et hasardeuse son mari à Constantinople. Cet itinéraire fluvial séduit, par exemple, Mme de Gasparin qui l’empruntera en 1867.
Bientôt, en 1890, le célèbre Orient-Express déversera en plein cœur de Stanboul ses « cook et ses cookness », tant détestés par Loti.

Le voyage demeure cependant un luxe. Le guide Joanne (la première édition est parue en 1861), la bible du touriste, évalue la dépense à 50 francs par jour, sans compter le prix du transport.
Le périple idéal, mais terriblement onéreux, est sans doute celui effectué en 1849 par Gustave Flaubert et Maxime du Camp : Egypte, Palestine, Liban, Asie Mineure, Constantinople, Athènes, Grèce. Itinéraire circulaire et codifié auquel peu de voyageurs dérogeront.
Sur ces nouveaux parcours les Français rencontrent le plus souvent des Anglais. En effet, l’Orient visité par les voyageurs de l’Hexagone se trouve sur la route des Indes. Les Britanniques, reconnaissables à leur allure particulière - « ils ne voyagent que pour se préserver des pays qu’ils traversent » -, sont donc nombreux à faire halte à Constantinople ou au Caire, envahissant les hôtels et autres lieux visitables, au plus grand déplaisir des Français.
Mme de Gasparin parle « des anglaisades » et Flaubert est furieux de constater l’avance des Britanniques sur le reste du monde en découvrant  leurs noms gravés au sommet des pyramides de la vallée des Rois.
L’Empire Ottoman et son Etat.
En Occident on s’applique à dresser de la Turquie le portrait d’un anti-Etat régi par le fanatisme et la barbarie. Mais les travaux de certains historiens réfutent cette thèse. Au siècle des Lumières, Montesquieu explique le despotisme du pouvoir turc, le despotisme asiatique comme il était dit alors, par la religion musulmane (L’esprit des Lois) alors que Voltaire dans son Essai sur les mœurs tente de démontrer le contraire. Mais ce qui demeurera dans l’esprit des lecteurs est que le monde musulman, corrompu, paresseux et servile, est réfractaire au progrès malgré les nombreux récits de voyage montrant un Orient de fantaisie, attirant et inquiétant à la fois et qui a l’esprit de ne pas censurer le plaisir. On aura ainsi des turcophobes comme Chateaubriand, Quinet, Gide ou Barrès et des turcophiles comme Lamartine, Nerval ou Loti.
Le règne de Soliman le Magnifique en français - ou Soliman le législateur en turc – est souvent évoqué lorsqu’il s’agit de parler d’Istanbul.
Mais à l’intérieur de l’immense Empire, précipitant sa chute, les nationalismes arabes ou européens sont attisés par la guerre idéologique menée par la France et l’Angleterre.
Mehemet Ali commence dès 1805 à moderniser l’Egypte et à s’opposer au pouvoir de la Sublime Porte.
En 1869 le canal de Suez est inauguré.
En 1874, les Britanniques en sont les principaux actionnaires.
En 1882, l’Egypte est placée sous protectorat britannique.
Typologie des images qui étaient dans l’esprit des voyageurs du 19ème siècle.
- L’Orient des 1001 nuits : Orient terre des prodiges et terre du merveilleux. L’univers fabuleux des 1001 nuits identifié à l’Orient tout entier après la traduction des contes de 1704 à 1717 par Galland. Entreprise de déréalisation.
- L’Orient exotique. Ce qui est autre, différent, qui flatte le goût pour la différence du spectateur-voyageur. On peut aussi mettre en avant la conjoncture historique à l’heure où l’Occident planifie, harmonise, normalise. L’Orient, par son anachronisme, est alors relégué dans l’anormalité, la marginalité, l’extravagance.
L’Orient est considéré comme un grand réservoir de différences. Ses habitants sont aperçus de loin, décrits en surface. L’un des premiers obstacles à la rencontre entre visiteurs et visités est la langue. Peu de voyageurs, en effet, parlent l’arabe, souvent qualifiée de gutturale, brutale et inesthétique.
- L’Orient voluptueux. Le fantasme occidental à propos du harem et la sexualité orientale qu’il suggère aux yeux des Occidentaux. La majeure partie des récits consacrent au moins un chapitre sur ce thème où l’expérience sexuelle – hétéro ou homo – est décrite plus ou moins explicitement. Les lettres ou les journaux intimes, eux, sont par contre très clairement détaillés (Les Goncourt, Flaubert, Maupassant, Louÿs.) Plus généralement, on assiste à une systématisation de la sexualisation du rapport Orient/occident : l’Occident est mâle, l’Orient est femme.
Femme à séduire - ainsi Cléopâtre, ou à prendre – toutes les autres.
Le philosophe et historien Ernest Renan (1823-1892) développera cette idée dans la seconde moitié du 19ème siècle, insistant sur le devoir de l’Europe, pour étendre sa puissance, d’exercer son savoir-faire technique dans les sociétés demeurées à l’état de nature ou réfractaires à toute notion de progrès.
L’Orient, dans cette perspective, devient l’espace possible où le voyageur se dépouille, pour un temps, de son costume de « civilisé. »
Il plonge dans un univers défait de toutes contraintes imposées par la morale occidentale. Son corps libéré épouse le rythme et les valeurs élémentaires de ces pays chauds où les sens ne sont pas opprimés. Il goûte au plaisir de se plonger, comme Pierre Loti, « dans la splendeur du matin vierge. » L’Orient permet au voyageur de ne plus se percevoir comme sujet responsable, il peut suivre ses pulsions, et lui enlève la notion de culpabilité inscrite dans son éducation religieuse. Le Coran qui accorde au corps une place que lui refuse le Christianisme devient pour certains un manuel d’érotologie.
- L’Orient religieux. Les Français du 19ème siècle ont l’impression de vivre une déflation du sacré, d’assister à l’effondrement de la spiritualité. La société en Orient est non sécularisée, y subsistent encore de nombreuses traces d’une multitude de croyances.
On se rend en Orient pour se ressourcer. L’orient est perçu alors comme un héritage qu’il faut se réapproprier. L’idée du palimpseste s’accorde parfaitement à cette démarche. Gratter l’écriture de surface, le réel oriental, pour atteindre l’écriture première, celle d’avant le gâchis opéré par l’Islam.
- L’Orient où l’on va renaître. L’Orient, la matrice originelle « La grande mère universelle » comme l’écrit Gérard de Nerval. Pour nombre de ces voyageurs aller en Orient c’est « remonter le cours des siècles » à la recherche des images saintes contenues dans les livres de leur enfance. De Lamartine à l’agnostique Pierre Loti, la même émotion les étreint en Palestine ou en Egypte. Mme de Gasparin peut dire à Jérusalem : « Enfin la Bible, sans additions, sans retranchements, ouverte dans son lieu. » Référence aux scénarios bibliques qui se déroulent en Orient, berceau des grandes civilisations.
L’Orient donc comme lieu de renaissance individuelle. Le comte de Forbin avoue : « j’étais enfin arrivé dans ce lieu, dont mon imagination fut si longtemps occupée » que Ballanche appelle « notre berceau cosmogonique et intellectuel. » Le voyage recouvre ici l’idée de baptême.
- L’Orient refuge où l’on va distraire son ennui ou guérir d’un amour déçu.
« Rien ne me retenait plus à Paris, ni haine ni amour. J’étais épuisé par toutes ces secousses. Un de mes amis allait faire un voyage en Orient ; j’allais dire à mon père le désir que j’avais de l’accompagner ; mon père me donna des traites, des recommandations, et huit ou dix jours après je m’embarquai à Marseille. » Armand Duval dans La Dame aux camélias, 1848, d’Alexandre Dumas fils.
Flaubert dit de Frédéric Moreau dans L’Education sentimentale, 1869 : «Il voyagea. Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues. »

L’image de l’Orient se dégrade au fil de temps. Mis en spectacle par le texte, la musique et la peinture, sa représentation se périme. « Il n’y a plus d’Orient ! » s’exclame Jean Lorrain à la fin du 19ème siècle. Il n’y a plus qu’un décor usé jusqu’à la trame. Les redites le condamnent – même si les voyageurs, au bout du compte, ne recherchent plus que la répétition, reproduisant indéfiniment le même Autre. Ce qui peut expliquer cette évolution de la perception du regard occidental sur l’Orient c’est que la plupart des pays orientaux, à la fin du 19ème, sont sous tutelle d’un pays européen, colonie ou protectorat. Le charme est rompu, le mystère éventé. En 1906, Louis Bertrand désabusé intitule un groupe de textes Le Mirage Oriental.

Isabelle Eberhardt habillée en Arabe
Isabelle Eberhardt habillée en Arabe
Isabelle Eberhardt habillée en Arabe
Isabelle Eberhardt habillée en Arabe
Isabelle Eberhardt habillée en Arabe
Isabelle Eberhardt habillée en Arabe
Isabelle Eberhardt habillée en Arabe

Isabelle Eberhardt habillée en Arabe

Tag(s) : #Récits de voyage et peinture orientaliste
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