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Jean Fouquet - La Vierge à l'enfant

Jean Fouquet - La Vierge à l'enfant

La Vierge allaitant ou encore La Vierge à l’Enfant entourée d’anges (après 1450).
Huile sur bois, 91X81cm. Musée des Beaux-Arts, Anvers. Panneau droit du diptyque de Melun.
Le panneau gauche, représentant l'argentier du Roi Etienne Chevalier avec Saint Etienne, est exposé à la Gemäldegalerie de Berlin.
Le diptyque resta jusqu'en 1775 à la Collégiale Notre-Dame de Melun. Les deux panneaux furent vendus séparément à la Révolution.

Diptyque de Melun reconstitué

Diptyque de Melun reconstitué

Dès son commencement, l'art a majoritairement investi le domaine du sacré entretenant avec les croyances une relation faite d’orages et de suspicion. Les pouvoirs se sont toujours défiés des productions artistiques qui suggèrent ou donnent à voir l’homme et la femme sous l’emprise de l'amour.
En Europe où la peinture a trouvé sa patrie, l’Eglise attendait des artistes une production qui la glorifiait avec, comme figures de proue, le Christ, la Vierge et la longue liste des Saintes. Acceptée par les peintres, cette exigence connut, fondant le principe de l’art par nature rebelle, d’heureux et nombreux écarts.
Ainsi l’étonnante Vierge à l'Enfant de Jean Fouquet dont le sein jaillissant du corsage délacé semble gonflé d’une sève qui n’est pas que lactée. Ce sein montré dit bien que le peintre, en fouillant entre ciel et sexe, n’explore en réalité, dans la secrète dissidence de l'acte créatif, que ses propres désirs.

La Vierge à l'Enfant
Le portrait de cette si singulière Vierge s’annonce par ce globe nacré et comme poncé qui capture et distribue la lumière en nappant doucement, à l’italienne, le reste de la poitrine nue. Cette flaque claire placée au centre de l’œuvre nous indique le point d’entrée par lequel l’artiste nous invite à partager son art, le seuil d’où « l’œil écoute » le bruit de la peau que rosit le sang d’une femme. Cet espace central où sont représentés la Vierge et son Fils est cerné par une armée d’anges ailés rouges et de séraphins bleus dont certains sont la réplique exacte de Jésus. Ce parti pris technique permet à Fouquet, par l’utilisation d’un fond chromatique éclatant tout en volumes arrondis, de faire l’impasse sur la perspective  dont il a appris l'usage à Rome et Florence  en mettant pratiquement sur le même plan sujets principaux et éléments secondaires. A moins qu’il ne faille voir tout simplement dans cette composition, qui mêle l’ancien (le Gothique) et le nouveau (la pré Renaissance), une profession de foi de l’artiste qui s’affirme solitaire dans sa démarche de créateur tout en restant solidaire de la révolution artistique menée par les Italiens.
Ce point nodal où le tableau prend son assise marque aussi le cœur d’un triangle - figure emblématique du blason féminin - que forme le corps de la Vierge, de l’angle occupé par la coiffe incrustée de perles et de pierres précieuses à la base où s’arrêtent les plis du long manteau ivoire. Le côté droit de ce triangle est tracé, pourrait-on dire, par le bras recouvert du modèle dont la main soutient délicatement (prémices du maniérisme bellifontain ?) le bout de son surcot alors que le côté gauche est dessiné par l’Enfant qui regarde quelque chose ou quelqu’un situé hors de notre champ de vision - l’histoire nous apprend qu’il s’agit du trésorier du royaume, Etienne Chevalier (1410-1477.)
Ce personnage, qui figure sur le panneau gauche du diptyque aujourd’hui à Berlin, est l’homme clef puisqu’il est le commanditaire de l’œuvre et celui qui favorise la rencontre d’Agnès Sorel et Charles VII.
Regardons de près cette Vierge offerte à la gloire de Dieu et au roi par le grand argentier de la cour. Son corps aux proportions idéales ne cache rien de ses attraits, tel ce sein dardé surgissant comme un fruit vivant dédié non à l’Enfant Dieu mais au regard désirant de l’homme. Il continue, ce sein, le mouvement contraire que cette femme, creusant son dos, imprime à sa poitrine et à son ventre qu’elle semble pousser vers nous alors qu’elle « retient » son visage, légèrement penché, saisi de trois quart et dont le regard est religieusement baissé. Comme si elle réfutait, tout en l’attisant, le trouble que son corps inspire.

Agnès Sorel
L’identité du modèle révélée, la Vierge de Fouquet on le sait emprunte les traits de la terrestre Agnès Sorel, la dame de beauté, qui fut la première favorite traitée publiquement comme une seconde épouse par un roi de France.
Ce portrait nous renseigne sur son allure et sur ses traits : grande, svelte, les seins attachés hauts, comme sculptés, elle est blonde avec de magnifiques yeux pers. Elle s’adonne, comme toutes les demoiselles d’honneur qu’elle côtoie, à la mode de la cour du "bon roi René." Le teint de lys, signe aristocratique, et les apprêts comme les sourcils épilés et les cheveux du front rasés sont indispensables à toute jeune fille qui veut réussir dans la société des princes.

Le portrait de Fouquet restitue cette coquetterie de l’époque et nous montre l’image d’une femme attirante au faîte de sa beauté. La robe aux reflets moirés qu’elle porte est largement décolletée. Cette nouveauté vestimentaire, audacieuse pour son temps, serait une invention d’Agnès Sorel elle-même. Dans le tableau elle est représentée le cou, les épaules et la gorge découverts avec un bustier délacé qui peine à contenir sa poitrine pleine que rehausse le gris houille de l’étoffe. Un voile de gaze transparent descend de sa coiffe tandis qu’une longue mantille claire s’ajuste sur sa robe plaquée au plus près des courbes qu’une ceinture tressée serre à la taille. Parée d’un somptueux atour de tête, Agnès Sorel incarne dans ce portrait ce qu’écrivait à son propos le chroniqueur Enguerrand de Monstrelet (vers 1400-1453) : « Entre les belles, elle était tenue pour être la plus belle du monde. » 

Le scandale de l’art
L’une des forces de l’art réside sans doute dans sa capacité à faire parler l’interdit. Avec la Vierge à l’Enfant, nous sommes dans le vif du sacrilège, dans la scandaleuse promiscuité du profane et du sacré que la peinture autorise. En passant de Notre-Dame de Melun au musée royal d’Anvers, la Vierge passe du temps de l’éternité à celui, périssable, des choses. Ou, pour le dire autrement, du statut de la maman à celui de la putain.
Jean Fouquet nous propose ainsi, dans ce portrait à double entente, une lecture de l’œuvre appuyée sur l’ambivalence, la dualité de l’être humain. Et il nous livre, chemin faisant, son secret qui consiste à croire en la fabuleuse supercherie de l’art qui fabrique du divin avec de la matière humaine et fait de la maîtresse d’un homme la reine du ciel.

 

GALERIE
Jean Fouquet - Autoportrait. Email peint sur cuivre. 6 cm de diamètre. Musée du Louvre.

Jean Fouquet - Autoportrait. Email peint sur cuivre. 6 cm de diamètre. Musée du Louvre.

Jean Fouquet - Portrait d'Agnès Sorel, Chäteau Royal de Loches

Jean Fouquet - Portrait d'Agnès Sorel, Chäteau Royal de Loches

Portrait d'Agnès Sorel datant du XVe siècle.

Portrait d'Agnès Sorel datant du XVe siècle.

Jean Fouquet - Agnès Sorel, Département des estampes, BnF, Paris

Jean Fouquet - Agnès Sorel, Département des estampes, BnF, Paris

Portrait d'Agnès Sorel

Portrait d'Agnès Sorel

 Agnès Sorel, Estampe, 1754

Agnès Sorel, Estampe, 1754

Agnès Sorel, gravure issue de l'ouvrage Histoire de France, par François Guizot, 1875

Agnès Sorel, gravure issue de l'ouvrage Histoire de France, par François Guizot, 1875

Jean Fouquet - Charles VII roi de France (vers 1445)

Jean Fouquet - Charles VII roi de France (vers 1445)

Jean Fouquet - Marie d’Anjou, épouse du roi Charles VII. BnF, Paris

Jean Fouquet - Marie d’Anjou, épouse du roi Charles VII. BnF, Paris

Martial d'Auvergne - Charles VII rentre dans Paris, enluminure issue de l'ouvrage "Vigiles de Charles VII", Paris, XV° siècle

Martial d'Auvergne - Charles VII rentre dans Paris, enluminure issue de l'ouvrage "Vigiles de Charles VII", Paris, XV° siècle

Jacques Coeur, ami et protecteur d'Agnès Sorel. Et grand financier du roi Charles VII. A lire "Le grand Coeur" de Jean-Christophe Ruffin paru en 2012.

Jacques Coeur, ami et protecteur d'Agnès Sorel. Et grand financier du roi Charles VII. A lire "Le grand Coeur" de Jean-Christophe Ruffin paru en 2012.

Clément de Fauquembergue - Jeanne d’Arc. Esquisse réalisée le 10 mai 1429. Registre du parlement de Paris, Archives Nationales

Clément de Fauquembergue - Jeanne d’Arc. Esquisse réalisée le 10 mai 1429. Registre du parlement de Paris, Archives Nationales

Jeanne d’Arc. Miniature du XVème siècle. Musée de Rouen

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 Ingres - Jeanne d’Arc au Sacre du roi Charles VII, 1854

Ingres - Jeanne d’Arc au Sacre du roi Charles VII, 1854

Le supplice de Jeanne d'Arc, Miniature du XVème siècle

Le supplice de Jeanne d'Arc, Miniature du XVème siècle

Tag(s) : #Peinture
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