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Bellakh, Portrait de Mohamed Médiène en Arlequin, h/t 98x55 cm, 1987

Bellakh, Portrait de Mohamed Médiène en Arlequin, h/t 98x55 cm, 1987

Portrait
Ce portrait qui émerge, comme venu du fond de la toile, dont il se libère avec ses pigments et sa matière brute, je le connais, c'est le mien. Cette figure familière qui me fait face, je peux en dire quelques mots. Tâche singulière où une feinte pudeur, en prenant la forme distanciée de l'objectivité - plus que jamais requise dans la parole qui veut s'auto-examiner -, voilera, je le souhaite, la tentation du discours complaisant. Le peu de goût que j'ai pour ma personne se chargera du reste.
Le moi vivant qui porte les traits qui m'identifient, dont je sais les avatars - le long mûrissement : plissures, empâtement, toutes traces de l'âge - s'est trouvé, il y a quelques années, le sujet du tableau qu'aujourd'hui je me propose de sonder. Ces lignes, ces courbes, ces taches de couleurs forment de moi une image plausible qui me représente. L'ensemble est assez ressemblant : la bouche épaisse, les cheveux noirs, le nez long et les rides qui creusent la frontière d'avec les joues, les yeux trop rapprochés que je n'ai pas, le front trop lisse, c'est moi, superficiellement. L'expression générale, je la crois assez proche de la réalité : un affaissement de la chair qui tire vers le bas mon visage, les fatigues du temps, la tristesse du regard peuvent convenir à un homme dont l'existence heurtée ne se veut pas secrète. Ce sont là les marques conventionnelles attribuées à un début de vieillesse : tout être fléchit ainsi en avançant vers la mort.
Et pourtant ce visage qui toujours tend vers moi ses yeux sans vie, je le sens déguisé, irrémédiablement autre, un double différent. Et parce qu’une part de l’artiste qui l’a réalisé s'y trouve mêlé, il demeure trompeur dans son aveuglement, lui qui ne peut me voir. Un souffle manque, ce souffle vainement recherché par Freinofer ( La recherche de l'Absolu, Balzac), que je ne peux retourner au masque timoré, à cette image d'une image que le peintre me soumet. Ce moi là qui s'arrache péniblement du support qui l'expose n'est pas le mien - il est celui construit par Bellakh. Les bariolures brunes du costume d'arlequin, le brun de la peau et le brun du fond s'entendent pour offrir, dans un camaïeu strié de gris, de poches d’ombres et de cercles blancs, une teinte étale au tableau.
L'acte de naissance que je croyais avoir décelé en premier lieu s'avère, par la contiguïté des couleurs et le travail d'ensevelissement de l'arrière-plan, un mouvement d'effacement. Disparaître se conçoit non sans trouble. Peut-être en est-il ainsi de tous les portraits, qu'ils laissent, à leur vue, ce déchet affectif qu'est le regret. Au delà de toute superstition, la préfiguration de sa propre mort installe, je le sens bien, dans l'esprit de qui la rencontre, une déraison inclassable.
Tag(s) : #Peinture
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