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Rose Cormon, la vieille fille

Rose Cormon, la vieille fille

Le roman : son origine et ce qu'il raconte

Balzac rédige La Vieille fille dans les premiers jours de septembre 1836. Année de grande production (Le Lys dans la valléeL’Interdiction, débuts du Cabinet des antiques, La Messe de l’Athée, Illusions perdues, L’enfant maudit, Le Secret des Ruggieri…), mais année  difficile pour l’auteur : il fait de la prison pour n’avoir pas assumé son tour de garde national ; à son retour d’Italie où il a passé plusieurs semaines (juillet-août) avec une jeune admiratrice, Caroline Marbouty, il apprend la mort de Mme de Berny ; son journal, La Chronique de Paris, est mis en liquidation (ce qui lui vaut un surcroît de dettes de 46000fr) et son éditrice lui intente un procès à propos du retard qu’il met à lui fournir les manuscrits qu’il lui a promis par contrat. Et toujours ses problèmes d’argent qui le harcèlent.
Emile de Girardin, le grand patron de presse de son époque, lui remet une avance contre l’écriture d’un feuilleton romanesque. Ce sera La Vieille fille, situé à Alençon, que Girardin compte publier dans son nouveau journal à bon marché, La Presse, récemment crée.
Balzac se flatte dans une lettre à Mme Hanska d’avoir écrit La Vieille fille « en trois nuits ». Mais il est vrai que le texte envoyé à Emile de Girardin n’est pas complet, qu’il n’est pas la version définitive publiée quelques mois plus tard dans les Scènes de la vie de province.
Dès sa publication, Balzac est vivement attaqué par la critique. La plus sérieuse fait ironiquement le procès de la méthode « physiognomonique » inventée, dit-elle, par Balzac. Et rejette ses nombreuses « balzachinades ». Le roman a choqué profondément certains journalistes qui l’ont jugé vulgaire et immoral.

Le choix de la Normandie comme cadre de son roman vient sans doute du fait que Balzac a passé quelques jours à Alençon en 1825, puis en 1828, sur la route qui le menait à Fougères (Les Chouans). Il a pu ainsi s’imprégner de ces régions de France « où les yeux ne sont jamais ni fatigués par un jour oriental, ni attristés par de trop constantes brumes. »
Lors de ses séjours dans cette ville il empruntait la rue du Val-Noble et celle du Cygne que nous reconnaissons dans le roman. La première de ces rues est parallèle à La Brillante, petit cours d’eau qu’un pont enjambait.
Le paysage que Balzac a pu voir dans ses promenades est décrit dans sa « bonhomie pudique, de chasteté tranquille, de vues modestes et bourgeoises ». Là, dit-il, « tout semble éternel ».

La maison, présentée comme étant celle de Rose Cormon, l’héroïne du roman, est située au milieu de la rue du Val-Noble.
La province, chez Balzac, se caractérise souvent par la maison, ou plutôt, une maison. Ainsi celle de Mlle Cormon : « là tout respirait la vieille, l’inaltérable province ».


Balzac connaissait donc bien ces lieux et les a restitués avec une précision rendue attrayante par le souvenir. Dans le roman, un fait réel est mentionné. Une controverse agitait alors la société alençonnaise : la construction d’un théâtre. Le bourgeois du Bousquier est favorable à cette initiative ; l’aristocrate Chevalier du Valois est contre. Ces attitudes illustrent les luttes de pouvoir entre Libéraux et Royalistes à Alençon. Deux villes coexistent dans Alençon, deux villes qui se superposent : celle du chevalier de Valois, libertine et joyeuse et celle, officielle, de tous les autres personnages, assez prude et plutôt ennuyeuse.

Balzac a composé La Vieille fille en trois chapitres :
- La chaste Suzanne et ses deux vieillards,
- Mademoiselle Cormon,
- Les déceptions.
Balzac ouvre son roman par une longue présentation du chevalier de Valois. On apprend que le sémillant aristocrate a passé sa jeunesse à Paris, qu’il ne parle jamais de ses amours (il a le bon goût de les laisser deviner) et qu’une de ses habitudes est de se servir d’une tabatière en or, ornée d’un magnifique portrait de femme, la princesse Goritza. A 58 ans, cet homme blond et sec garde encore par sa belle taille une allure de jeunesse. Il a des cheveux argentés des rides expressives. Soigné de sa personne, il s’attardait à de minutieuses ablutions qui donnaient à sa peau un surcroît de blancheur. Ses mains, comme celles des petites maîtresses, étaient petites et douces. Sans se parfumer, il exhalait « un parfum de jeunesse ». Il aurait eu l’air poupin si la nature ne l’avait affublé d’un nez « magistral et superlatif ».
Le chevalier était également attentif à sa toilette : son linge était toujours « d’une finesse et d’une blancheur aristocratique. » Son habit semblait usé, râpé comme celui des dandies.
Pourtant « cet Adonis à la retraite n’avait rien de mâle dans son air. » Mais il « avait la voix de son nez » agréable à entendre, et prenante.
Le chevalier avait loué un petit appartement, rue du Cours, dans une maison qui servait d’atelier à la blanchisserie de fin tenue par Mme Lardot.
Cette dernière qui l’admirait, disait à qui voulait l’entendre que le chevalier, toujours, « fait tout bien ».
Le roman explique comment M. de Valois mène une double vie grâce aux ouvrières de sa propriétaire et grâce à sa position stratégique dans l’entreprise qui lui permet de se tenir au courant de la  vie de certains  habitants d’Alençon.
Par son biais, le lecteur apprend les dessous de la cité. Il est possible que Balzac se soit souvenu, écrivant le roman, du blason de la ville : « Alençon…Autant de putains que maisons. » La teinturerie où il loge sert donc à de Valois de poste d’observation pour épier les jeunes femmes qui y travaillent (et avec lesquelles il peut flirter avec l’agrément de la patronne) et le linge qui s’y lave. Il peut ainsi établir la carte de l’adultère d’Alençon (notamment la vie secrète de la femme du Receveur Général), mais sans jamais la divulguer – se ménageant ainsi la reconnaissance des femmes. Cette discrétion tenait à ce qu’il éprouvait, en homme du monde, des « sympathies pour les jolies faiblesses. »

En arrivant à Alençon, le chevalier de Valois n’avait pas caché sa pauvreté : il vivait avec 600 livres de rente, ce qui semble très modeste pour un homme de son rang. Très bon joueur, gagnant souvent, il arrivait à augmenter son petit capital de manière conséquente, sans heurter ses adversaires qu’il traitait avec beaucoup de délicatesse.
Il avait aussi le talent de savoir écouter les gens qui lui racontaient « les petites misères de la vie de province ».
Pourtant, sous cette vie apparemment tranquille, le chevalier nourrissait une ambition secrète, celle qui l’avait décidé à s’installer à Alençon : épouser une vieille fille riche.
Parmi les jeunes ouvrières de Mme Lardot, Balzac introduit l’appétissante Suzanne « à la chair de Rubens », qui installe dans le texte la dimension érotique qui lui vaudra les critiques déjà évoquées.
« Parce que les temps changent » Suzanne quittera Alençon, trop exigu pour elle, trop prude, trop province, pour se lancer dans la prostitution parisienne.
On peut dire qu’elle représente le double sublimé, et assumé, de Rose Cormon, la vieille fille qui ne sait pas oser.
On sait par Parent-Duchâtelet (cité dans le roman sous le nom de « savant médecin ») que la Normandie fournissait le tiers du contingent de filles « comme il ne faut pas » de Paris.
Suzanne, dans ce passage, essaie de soutirer de l’argent au Chevalier en invoquant une grossesse : il n’en a pas. Après l’avoir conseillé sur sa vie future à Paris, il lui suggère d’aller voir du Bousquier.

Le chevalier de Valois, spirituel libertin, renvoie à une France d’avant la révolution que le romantisme imaginait plus libre dans ses moeurs que celles du 19ème siècle, laborieuse et sans fantaisie. Ses souvenirs sont pleins d’histoires galantes auxquelles il a participé et il cite avec nostalgie le temps où Lauzun (avec qui il se serait est battu) défrayait la chronique des alcôves. Le chevalier de Valois, nous dit le roman, « est un homme à femmes » digne « de la cour de Cythère. »

Le vieux séducteur se révèle en outre un fantastique mangeur : « il mangeait comme un ogre ». Il est atteint, nous précise-t-on, de la maladie nommée en province du foie chaud. Balzac insiste sur les repas, qui en province, sont faits de trente ou quarante plats et qui peuvent durer quatre heures. Le merveilleux appétit du chevalier « dénote un cœur prodigue » disent les spécialistes.
Reçu dans toutes les bonnes familles d’Alençon, il était le seul à savoir bien prononcer « certaines phrases de l’ancien temps. »
Dans les préfectures de second ordre, raconte Balzac, un salon réunit tous les personnages considérables, en dehors des grandes familles qui ne daignent pas s’y rendre. Ce salon mixte exerce une grande influence dans la ville mais il se caractérise par une grande indifférence à l’égard du luxe. La société qui le fréquente est solide mais sans faste.


Ainsi la société alençonnaise allait chez Mlle Cormon dont la fortune « était couchée en joue par sa cousine Granson » et les deux prétendants, Du Bousquier et de Valois.
Le second chapitre du roman raconte l’histoire des hésitations de cette célibataire riche et vieillissante. Mademoiselle Cormon veut se marier et avoir des enfants. Elle est confrontée aux deux vieux garçons qui la veulent mais avec ses 18000 livres de rente et ses terres.
Le chevalier de Valois, noble mais pauvre et vieux s'oopose à du Bousquier, riche et ambitieux bourgeois. Rose a à choisir, dit Balzac, entre « un hercule de la République » - du Bousquier et un « Adonis du 18ème siècle » - le chevalier.

« Les touristes de Bretagne, de Normandie, du Maine et de l’Anjou ont vu, dans les capitales de ces provinces, une maison qui ressemblait plus ou moins à l’hôtel Cormon » avertit Balzac. Un hôtel « qui explique des mœurs et représente des idées ».
La famille Cormon frayait avec la bourgeoisie et s’alliait, dans les affaires locales, à la noblesse. Elle habitait une très belle maison à « forte architecture » datant du 16ème siècle.
Cette maison « à la propreté hollandaise » ne pouvait être occupée, ironise l’auteur, que par une vieille fille à « l’œil fureteur, conservateur moins par caractère que par besoin d’action ».
Cette maison était digne d’un pair de France, pensait le chevalier, ou digne du maire de la ville, se disait du Bousquier.
Un cours d’eau borde la propriété, la Brillante, ainsi appelée « à cause des parcelles de mica qui paillettent son lit ». Un grand jardin entoure l’hôtel Cormon. Le voisinage est tranquille.
Comme toujours, Balzac soucieux de réalisme établit une description extrêmement précise du mobilier du salon de Rose Cormon afin de nous expliquer le caractère de son personnage.

Seule pièce à être planchéiée, le salon, grand et bien aménagé, recélait des merveilles. Mais Mlle Cormon n’aurait rien vendu, même à bon prix, tant « en province on croit toujours aux trésors cachés par les ancêtres ».
Le fond de la société de Mlle Cormon se constituait de 150 personnes. Peu d’entre elles avaient voyagé, presque toutes étaient restées dans la province.
Les femmes faisaient peu la toilette, sauf le mercredi, jour où Rose donnait à dîner. Une société d’habitude, sans surprise, se connaissant parfaitement et dont les membres, tous les soirs, jouaient ensemble au whist, au tric trac. A dix heures, invariablement, tout le monde rentrait, discutant sur le chemin du retour. C’était comme la sortie du spectacle à Paris.
Deux autres salons, celui de la haute compagnie aristocratique et celui de Receveur Général animaient les soirées alençonnaises.
Ces trois salons communiquaient grâce à des invités communs.
Avec son salon tout nouvellement créé, Mlle Cormon représentait « une raison sociale », une bonne affaire pour un ambitieux. L’épouser, c’était régner sur Alençon.
Elle, elle voulait un gentilhomme, rendu rare à cause de la politique du canon de Napoléon, qui avait fait beaucoup de veuves. Mais surtout, elle voulait être aimée pour elle-même.


Rose est décrite.
A quarante deux ans Rose Cormon « dans sa grosse fraîcheur » atteignait sa seconde jeunesse encore célibataire, affligée d’une « virginité infiniment prolongée. » « Malgré de grosses lèvres rouges, l’indice d’une grande bonté… elle devait être bienfaisante sans grâce. » Au fil du temps « l’embonpoint élaboré par une vie tranquille et sage s’était insensiblement si mal réparti sur ce corps, qu’il en avait détruit les primitives proportions. » Son excessive ampleur ne pouvait être contenue par aucun corset. « Rose n’avait plus de rides, mais des plis. » Elle était devenue « la perdrix dodue, alléchant le couteau du gourmet. »
Elle souffre de ce trop long célibat. Elle veut y mettre un terme. Elle confiait au Chevalier que « Le sang la tourmentait » malgré l’usage de la discipline ordonnée par son directeur de conscience et les nombreux « bains de pieds » pris pour refroidir ses ardeurs. Il lui recommande de se marier. (A ce propos se rappeler comment Bianchon, dans La Muse du département, conseille à Dinah de la Baudraye, dont le mari est impuissant, de prendre un amant pour retrouver le goût et les plaisirs de la vie.)
Balzac fait preuve d’une certaine audace de langage quand il parle du désir qui taraude Rose. Elle rêve la nuit « de mariages fantastiques », et le matin, Josette sa femme de chambre découvre son lit « sens dessus-dessous ». Plus tard, au Prébaudet, devant l’agitation de Rose apprenant l’arrivée d’un étranger invité par son oncle, elle est persuadée que sa maîtresse a « le diable au corps ». Rose a l’impression de devenir « une fille originale », ce qui n’est pas permis en province
Elle se tourne vers la religion « cette grande consolatrice des virginités bien gardées », mais son désir « acquit une intensité qui avoisina la monomanie. » Elle avait beau prier Dieu, il était « sans doute écrit qu’elle mourrait vierge et martyre ». Le gentilhomme attendu ne passera pas par Alençon, parce qu’elle « n’est pas une ville qui affriande les étrangers, elle n’est sur le chemin d’aucune capitale, elle n’a pas de hasards ».
« L’esprit a ses exigences, il a, comme le corps, sa gymnastique. » Mlle Cormon est assez ignorante, elle fait rire ses invités quand elle avoue ne pas savoir la différence entre un bœuf et un taureau ou lorsqu’on parle de « montes » et de « saillies » à propos des chevaux.
Au dîner du mercredi, le dernier avant le départ de Rose pour le Prébaudet, la guerre contre du Bousquier est déclarée : le casus belli est l’enfant qu’il aurait fait à Suzanne. Contre toute attente l’attaque tourne en sa faveur, attestant la vérité du « penchant des dévotes pour les mauvais sujets ».
Calomnié, du Bousquet sort grandi aux yeux de Rose : « il est naturel d’avoir des enfants » affirme-t-elle. A sa surprise, les femmes se mettent à le regarder avec intérêt.


« Le hasard est le plus grand des artistes.»
Mr de Valois intéresse Rose « par le cœur, par l’esprit, par l’ambition », par son élégance désuète mais il lui paraît trop sérieux pour faire un mari.
Mr du Bousquier, mauvais sujet, semble pour elle un meilleur parti parce qu’elle déduit de sa vie passée « une haute expérience pratique. »
Mlle Cormon, après avoir jeté son dévolu sur un séduisant aristocrate, un vicomte déjà marié et père de quatre enfants venu s’installer à Alençon, précipite son choix sous le coup d’une humiliation qui la fait s’évanouir. Du Bousquier la porte dans sa chambre, l’étend sur le lit où son corsage défait « s’étala comme une inondation de la Loire ». Le roman laisse parfois apercevoir l’influence de Rabelais et de ses énormités drolatiques.
Elle opte finalement pour du Bousquier qui lui paraît plus viril, malgré les idées politiques qu’il professe et ses manières grossières. Mais au moins il saura satisfaire ses impatiences charnelles et lui donnera, espère-t-elle, des enfants.
Cet épisode cocasse est à mettre en relation avec la théorie de Lavater que Balzac connaissait bien.


Mlle Cormon fait un mariage à la parisienne, au mois de juin, un jour de pluie triste. Mais c’est comme un mariage de théâtre et l’hôtel Cormon devient une sorte de scène où se déroulerait une farce.
Il n’y a pas de noces comme il était d’usage à la campagne qui conservait les rituels ponctués par les journées et les saisons. Après la cérémonie, où elle entre à l’église « du pied gauche », présage «  d’autant plus horrible que la Gauche prenait une acception politique », le couple s’installe pour quelques jours dans leur maison de campagne.
Le mariage est un désastre : du Bousquier se révèle incapable d’assumer son rôle d’époux en honorant sa femme. Nous ne le saurons que deux ans après.
Après son mariage, du Bousquier s’installe dans la maison Cormon, et par là dans le cœur de la ville, et profite de l’argent de sa femme pour accroître son influence politique et augmenter sa fortune.
La leçon de cette intrigue, Balzac nous la donne à la fin du roman. Il milite pour un enseignement nouveau et demande « à la sollicitude si éclairée des ministres de l’instruction publique, la création de chaires d’anthropologie, science dans laquelle l’Allemagne nous devance ».
Du Bousquier, autrefois homme à bonnes fortunes, n’a pu supporter les fatigues du plaisir. Il est devenu impuissant après « avoir abusé de la vie » bien qu’en apparence il demeure vif et énergique. Il est chauve, porte un faut toupet et a la voix « d’un spéculateur éreinté » qui signalent, pour un observateur avisé, les indices de ses insuffisances érotiques. Alors que le nez « prodigieux » du chevalier témoigne au contraire d’une ardeur conquérante. Malgré son âge, le chevalier est demeuré un vert-galant. On peut comprendre ces deux natures contraires à leur réaction devant Suzanne qui, au début du roman, leur annonçait sa grossesse.

La Vieille fille montre comment on peut, ou on ne peut pas, passer d’un espace à un autre, en clair, d’une époque à une autre.
La représentation de la ville de province est à lire ici comme lieu de passage. Chacun des personnages cités veut changer de statut.
Le vieux chevalier veut devenir riche. Il échoue et se laisse mourir. On apprend à cette étape de l’histoire que lui aussi « mentait » : il portait de faux mollets et un ratelier.
Le bourgeois du Bousquier veut s’allier à la noblesse et peser sur la vie politique de sa ville. Il réussit sans l’aide de l’aristocratie et transforme Alençon. Il roule en tilbury et ses concitoyens font comme lui. Le département, sous son impulsion se développe et s’industrialise.
Du point de vue de Balzac, tous ces désirs de changement sont voués à l’échec. La seule à réussir sa métamorphose est Suzanne, la jeune ouvrière de la blanchisserie, qui apparaît au début et à la fin du roman. Pour payer son voyage à Paris, elle ruse pour soutirer de l’argent aux deux hommes avec qui elle entretient une relation. Elle croise Athanase dont elle tombe amoureuse. Elle a reconnu en lui une supériorité d’esprit qui l’a immédiatement séduite. Athanase Granson incarne le personnage au talent méconnu. Il est le visage de l’écrivain que Balzac
dissémine un peu partout dans son œuvre. Mlle Cormon ne le voit pas parce qu’il ne veut pas se plier aux convenances politiques d’Alençon. Ce qui permet à Balzac d’écrire que le mot liberté est « si mal défini, si peu compris ».

A la fin du roman Suzanne revient de Paris dans un bel équipage, où ses talents d’hétaïre ont fait merveille. Parce qu’elle aime Athanase, elle pense pouvoir l’aider. Mais, écrasé de douleur, il se suicide par amour pour Rose.
Athanase, le seul personnage constant du roman, ne veut pas changer. Il veut se réaliser. Mais il ne fait rien sauf désirer se pelotonner dans le doux giron de Rose. Il est naturellement voué à la mort. La vie de province le tue. Il n’a pas su passer du domaine de la pensée au domaine de l’action comme Suzanne qui passe de la Province à Paris.
Le mouvement de Paris vers la province est aussi contre nature « que l’amour d’un jeune homme de vingt trois ans (Athanase) pour une fille de quarante Rose). »
La réussite de Suzanne s’explique par sa mobilité, elle peut comme une anguille « se glisser partout », et les moyens qu’elle se donne pour changer. C’est par elle, par les visites qu’elle fait en une matinée, que le lecteur rencontre chaque personnage chez lui, dans son environnement habituel.. Elle bouge et ose, alors que Rose Cormon est immobile. Cette dernière reste plantée chez elle où toute la ville se déplace pour la voir.
Suzanne par exemple maîtrise l’information et la fait circuler. Rose fait constamment le mauvais choix. Suzanne change de nom, elle devient Mme du Val-Noble à Paris et dans le reste de la Comédie Humaine. Paris est le seul lieu où ses projets peuvent se concrétiser- elle se sert de son beau corps comme d’une arme.
La ville de Province dans La Vieille fille est l’espace du mouvement vain, de la dépense inutile, anachronique et stérile. Mais aussi celui du changement, car bien des signes montrent que le même processus transformationnel est aussi bien à l’œuvre en milieu provincial qu’à Paris. Ces mutations sociales et politiques sont inscrites dans le corps du texte.
Suzanne ne peut y demeurer, c’est la raison pour laquelle elle décide de se rendre à Paris, à n’importe quel prix – mensonge (sa grossesse), amour possible mais sacrifié (Athanase).

Balzac a peint, dans ce roman, une petite ville de province, avec la mesquinerie et la dureté des rivalités qu’elle suscite. La monotonie de la vie de province dans sa régularité ancestrale, les réunions mondaines qui s’y déroulent prennent un aspect paradoxal, presque régressif. Une ville molle où l’on se meut sans hâte. La vie ainsi étalée semble apparemment sans projet.
En évoluant entre les deux prétendants, la superbe Suzanne semble orienter le cours des événements. Quant à l’héroïne, nous devons attendre la fin du premier tiers du livre pour qu’elle nous soit présentée. Balzac a choisi de nous familiariser avec les lieux et les habitudes de la ville avant de nouer son intrigue. Et les personnages s’imposent avec leur naïveté un peu stupide (Rose) ou leur rouerie pittoresque (le chevalier)

Au dernier chapitre, tout se précipite, inexorablement. Du Bousquier « animé par une volonté drue » est plus rapide que le fin et habile chevalier qui s’attarde à faire sa toilette – il emporte la mise. Même si la morale sort vaincue par le triomphe de ce personnage anti-poétique mais à l’écoute de son temps. Le nouvel homme d’affaire a l’intelligence d’associer ses compatriotes à sa politique économique. Il sera récompensé au-delà de ses voeux. Le destin, nous dit Balzac, tient à peu de chose. Ainsi Rose Cormon, sotte, ignorante et désaxée, subit la loi des événements qu’elle n’a su ni prévoir ni conjurer. Elle est la victime expiatoire de son manque de vue – dans l’acception balzacienne du terme.
A soixante ans, après 1830, vivant « d’une vie purement animale », soumise comme une esclave, elle vit encore, « c'est-à-dire qu’elle souffre toujours ». Elle n’a qu’un regret : « elle ne supporte pas de mourir fille ».

Balzac - Rose Cormon

Balzac - Rose Cormon

Balzac - La vieille fille

Balzac - La vieille fille

Balzac - Le Chevalier

Balzac - Le Chevalier

Balzac - Du Bousquier marié

Balzac - Du Bousquier marié

Balzac - Du Bousquier (La vieille fille)

Balzac - Du Bousquier (La vieille fille)

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